Tanzanie : La confusion autour des marchés du soja décourage les producteurs

| avril 24, 2017

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Situé à plus de 700 kilomètres de Dar es Salaam et jouxtant les frontières zambienne et malawite, Utiga est un petit village de la région de Njombe, en Tanzanie. Il s’agit de la région des Hautes Terres du sud de la Tanzanie où beaucoup d’agriculteurs et d’agricultrices cultivent le soja.

Daniel Lungo est un petit producteur de soja. Cependant, il peine à obtenir un bon prix, et cette situation le dissuade de plus en plus d’augmenter sa production. On encourage les agriculteurs et les agricultrices de cette région à investir dans une plus vaste production de soja, mais les client(e)s leur proposent de bas prix malgré la forte demande pour le soja, exprimée par les sociétés qui transforment cette denrée pour la consommation humaine et animale.

Mr. Lungo explique : « C’est la tarification qui nous pose actuellement problème. Généralement, les commerçant(e)s aiment avoir [le] monopole des prix en fixant un prix pour notre soja. Les commerçant(e)s proposent un prix inférieur aux coûts de production. Ils agissent ainsi sans tenir compte de la peine que se sont donnée les producteurs et les productrices, ainsi que des dépenses qu’ils ont effectuées jusqu’à la période des récoltes. »

Souvent, les cultivateurs et les cultivatrices ont l’impression qu’on les oblige à accepter les prix dérisoires que leur proposent les intermédiaires, qui revendent ensuite le produit de sorte à réaliser un bénéfice plus élevé.

Mr. Lungo affirme avoir dépensé 40 000 shillings tanzaniens (17,70 $US) pour préparer son champ, et un autre montant supplémentaire de 100 000 shillings tanzaniens (44 $US) pour l’achat de semences, d’engrais et de pesticides.

Pour obtenir un meilleur prix, Mr. Lungo a décidé d’acheminer ses produits vers un marché lointain où les intermédiaires vendent du soja. Il a payé 300 000 shillings tanzaniens (133 $US) pour transporter en autobus 60 sacs de soja de Njombe à Morogoro, sur une distance de 500 kilomètres. Là-bas, il a vendu chaque sac à 35 000 shillings tanzaniens. Après avoir payé ses dépenses, son bénéfice s’est élevé à 460 000 shillings (204 $US).

Il déclare : « Transporter des marchandises au marché par autobus-voyageurs coûte moins cher que de louer des camions de Njombe au marché. »

Pendant que Mr. Lungo se démène pour commercialiser son soja, d’autres agriculteurs et agricultrices préfèrent se focaliser sur la production domestique, car ils ne croient pas que le soja soit rentable. Frank Mwagike, père de dix enfants, cultive à 60 kilomètres de la bourgade de Njombe. Cela fait plus de 15 ans que cet homme de 56 ans cultive le soja, mais les difficultés de commercialisation l’incitent à cultiver cette denrée sur de plus petits lopins de terre.

Mr. Mwagike soutient que, lorsqu’il s’est mis à produire du soja en 2001 sur un très petit lopin, c’était pour la consommation intérieure. Il ne parvenait pas à écouler son surplus de soja. Il déclare : « Il m’arrivait de garder mon soja même pendant trois mois sans trouver d’acheteur. »

Cependant, une ONG de la région encourage les agriculteurs et les agricultrices à cultiver le soja pour la vente, et Mr. Mwagike en cultive désormais sur une superficie de trois quarts d’une d’acre.

Farm Input Promotions Africa (FIPS) est une ONG qui travaille dans la région de Njombe afin d’aider les cultivateurs et les cultivatrices de soja à accroître leur production. Deo Msemwa est le directeur des opérations.

À ses dires, la production des agriculteurs et des agricultrices est parfois si maigre que les acheteurs décident d’aller là où ils peuvent se procurer la quantité dont ils ont besoin.

Au nombre de ces acheteurs figure Highlands Iringa Company qui transforme le soja en aliments nutritifs tels que la bouillie riche en protéines. D’autres grands acheteurs englobent Silver Lands of Iringa et TanFeed of Morogoro. Ces acheteurs transforment le soja en aliments destinés aux poules et à la consommation humaine.

Mr. Msemwa explique : « La demande exprimée chaque année par les acheteurs de soja dépasse 100 tonnes, alors que nos agriculteurs et agricultrices produisent moins de 10 tonnes. Alors, personne ne peut se plaindre qu’il n’y a pas de marché. »

L’offre intérieure est si faible qu’on importe du soja de la Zambie et d’autres pays. Geoffrey Israel Kirenga est le directeur général de la Southern Agricultural Growth Corridor of Tanzania Centre Ltd.

Mr. Kirenga explique : « La région des Hautes Terres du sud à elle seule peut produire jusqu’à deux millions de tonnes de soja, mais elle a produit très peu. » Il indique que des investissements plus importants doivent être consentis pour la production de soja pour faire concurrence aux importations.

FIPS incite les agriculteurs et les agricultrices à accroître leur production en leur fournissant des informations sur les nouvelles techniques. Une stratégie consiste à utiliser des semences améliorées qui résistent aux maladies et ont un haut rendement. De plus, les producteurs et les productrices peuvent renforcer leur capacité de commercialisation en se regroupant pour vendre leurs produits collectivement, car la disponibilité de quantités plus importantes peut attirer plus d’acheteurs, en plus de leur permettre de demander un meilleur prix.

Salome Kinyunyu est parmi les nombreux agriculteurs et agricultrices que FIPS a avoir été encouragés à se tourner vers le soja pour avoir de bons revenus. Âgée de 38 ans, cette mère d’un enfant cultive dans le village de Litundu. Elle explique : « J’étais très réticente à l’idée de me lancer dans la production de cette denrée parce que ceux et celles qui en cultivaient nous disaient qu’elle ne se vendait pas…. Mais je m’y suis mise après que Farm Input Promotions Africa m’a encouragée. Ils nous disent qu’il y a un débouché pour le soja. »

Même si beaucoup de cultivateurs et de cultivatrices de Njombe espèrent que le soja soit le bon investissement comme la promesse leur en a été faite, Mr. Lungo est déçu de la faiblesse du marché et n’est pas sûr de vouloir investir dans cette culture. Il déclare : « Cela ne nous encourage pas à élargir nos exploitations, car je m’aperçois qu’il est inutile de cultiver plusieurs acres s’il n’y a pas de marché pour cette denrée. »

Ce travail a été réalisé grâce à une subvention du Centre de recherches pour le développement international, à Ottawa, au Canada, www.idrc.ca, et avec l’appui financier du gouvernement du Canada, octroyé par le biais d’Affaires mondiales Canada, www.international.gc.ca