Tanzanie : Cinquante années d’agriculture coopérative – une expérience en matière de production agricole (par Adam Bemma, pour Agro Radio Hebdo)

| mai 5, 2014

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Pius Hayuma se penche et se sert de ses mains nues pour creuser dans le sol de son shamba, sa petite ferme. Des plants de haricots et de maïs se multiplient partout sur sa terre d’un hectare et demi qui longe la forêt de Ngorongoro au nord de la Tanzanie et la vallée du Rift.

« Je me souviens de l’époque où cette terre était extrêmement fertile. Nous avions de la machinerie agricole moderne ici au village d’Upper Kitete. Nous nous servions de moissonneuses-batteuses pour récolter le blé et de tracteurs pour labourer les contours dans le sol », de dire M. Hayuma, 54 ans.

Le village d’Upper Kitete était à une certaine époque un modèle coopératif agricole. Situé dans le district de Karatu, à environ 160 kilomètres d’Arusha, il avait été créé par le gouvernement de la Tanzanie sous la présidence de son fondateur, Julius Nyerere.

La Tanzanie a obtenu son indépendance du Royaume-Uni en 1961. La vision du président Julius Nyerere était de déplacer les Tanzaniens habitant les communautés rurales dans des villages collectifs pour fournir de meilleurs services sociaux. Des services de vulgarisation agricole ont été inclus dans le programme d’établissement de villages.

Antony Ellman est un agronome britannique. Il a participé à la mise sur pied de la coopérative d’Upper Kitete pendant ses premières années. La coopérative était la première de son genre en Tanzanie.

«La coopérative a fait ses débuts en 1963, huit mois après l’indépendance. J’ai choisi les villageois et j’ai pris part à la création de la coopérative. Je suis resté jusqu’en 1966 et je suis retourné visiter la coopérative à quelques reprises depuis », explique M. Ellman.

En 1974, le président Julius Nyerere a publié une directive gouvernementale forçant les agriculteurs et les agricultrices d’exploitations familiales et les éleveurs et les éleveuses qui ne s’étaient pas encore regroupés à se joindre à des villages coopératifs comme Upper Kitete, ce qui a créé une grande tension au sein du village de 100 ménages. Upper Kitete a augmenté de façon exponentielle; au milieu des années 1980, le village comptait plus de 400 ménages.

« Les conditions de vie à Upper Kitete s’amélioraient jusqu’à tout récemment. [Mais] la croissance démographique a eu des répercussions organisationnelles et environnementales et les conséquences continuent de se faire sentir à ce jour », ajoute M. Ellman.

L’agriculture demeure l’épine dorsale de l’économie de la Tanzanie cinquante ans après la création de l’Upper Kitete Cooperative Society (société coopérative d’Upper Kitete). Selon le ministère de l’Agriculture, de la Sécurité alimentaire et des Coopératives, le secteur de l’agriculture en Tanzanie fournit environ 95 pour cent de l’approvisionnement alimentaire du pays, ce qui se traduit par plus d’un quart de la production économique et représente plus de 75 pour cent des emplois.

Amon Z. Mattee enseigne à la Sokoine University of Agriculture in Morogoro, Tanzanie. M. Mattee dit que « l’agriculture est le moyen de subsistance de la majorité des Tanzaniens et Tanzaniennes; c’est grâce à elle qu’ils comblent leurs besoins alimentaires quotidiens. Sans l’agriculture, la plupart des Tanzaniens et des Tanzaniennes ne survivrait pas, car il n’y a pas d’autres activités économiques dans les zones rurales ».

Aujourd’hui, de nombreuses communautés agricoles en Tanzanie font face à un problème commun. Les idéaux socialistes ont cédé la place à une priorisation du marché. Beaucoup d’agriculteurs et d’agricultrices trouvent que le gouvernement ne leur fournit pas suffisamment de ressources.

La population a augmenté mais pas la quantité de terres arables. À Upper Kitete, tout comme pratiquement partout ailleurs en Tanzanie, chaque mètre carré de terre est cultivé. L’érosion du sol devient un problème majeur causé par une mauvaise gestion des terres. Les champs de la coopérative étaient au départ cultivés collectivement, mais ils ont été répartis entre ses membres et sont désormais gérés individuellement.

M. Hayuma assiste aux réunions du village afin de conseiller ses collègues du secteur agricole à surmonter l’érosion des sols. « L’année dernière, la pluie trop abondante a retardé la croissance des cultures. J’ai encouragé les agriculteurs et les agricultrices à utiliser des charrues à bœufs pour créer des contours. Une telle technique empêche l’engorgement en réduisant la vitesse à laquelle coule l’eau et en la laissant couler lentement dans [le] shamba (champ) au lieu qu’elle apporte avec elle les nutriments du sol », dit-il.

L’augmentation récente des contours de colline autour d’Upper Kitete s’avère bénéfique pour les agriculteurs et les agricultrices. La saison de la récolte augure bien pour les membres de la coopérative.

M. Hayuma croit qu’à l’avenir le village Upper Kitete deviendra une ressource pour les touristes et les agriculteurs et les agricultrices de toute l’Afrique. « Ils pourront visiter le village pour en apprendre davantage sur l’histoire de l’agriculture et les coopératives en Tanzanie », ajoute-t-il.