Ouganda : Choc de cultures et besoin de certification des terres coutumières (Trust)

| juillet 5, 2021

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Nouvelle en bref

Quand les habitant(e)s d’Owele, un village du nord de l’Ouganda, entendirent parler d’un projet de délivrance de documents pour leurs terres, ils/elles eurent peur de se les faire voler. Cependant, après avoir photographié la terre d’Owele et enregistré les coordonnées, les fonctionnaires remirent aux habitant(e)s une chose qu’ils/elles n’avaient jamais vue : des titres prouvant que les terres leur appartenaient. Depuis 2015, le gouvernement ougandais a délivré plus de 25 000 titres de propriété, donnant aux propriétaires de terre coutumière une preuve de leur droit de propriété. Ce projet vise à réduire les conflits fonciers et améliorer la sécurité financière des familles rurales. Mais les responsables traditionnels locaux affirment que cette pratique ne cadre pas avec les concepts traditionnels de la « propriété » et de qui peut la définir.

Quand les habitant(e)s d’Owele, un village du nord de l’Ouganda, entendirent parler d’un projet visant à délivrer des titres pour leurs terres, ils/elles eurent peur de se les faire voler.

Mais après avoir photographié la terre d’Owele et enregistré les coordonnées, des agent(e)s publics ont remis aux habitant(e)s une chose qu’ils/elles n’avaient jamais eue : des certificats prouvant que la terre leur appartenait.

Le plateau verdoyant d’Owele, dans le district de Pader, est gouverné par des clans, des familles et des coutumes. Autrefois, le village ne possédait aucun titre foncier officiel.

Santa Otyeka est une responsable de paroisse de 73 ans. Elle a affirmé que son nouveau titre de propriété foncière a empêché ses beaux-frères de lui enlever sa terre après le décès de son mari.

Elle déclare : « En tant qu’individu, vous êtes désormais propriétaire de votre terre… Il n’y a personne qui peut s’y introduire sans votre autorisation. »

Depuis 2015, le gouvernement de l’Ouganda a délivré plus de 25 000 titres fonciers coutumiers, fournissant ainsi aux propriétaires de terres coutumières la preuve de leur droit de propriété. Cette initiative vise à réduire les litiges fonciers et améliorer la sécurité financière des familles rurales.

Toutefois, des responsables traditionnels locaux soutiennent que la démarche du gouvernement visant à documenter les terres coutumières ne cadre pas avec les concepts traditionnels de la « propriété » et qui peut la définir.

Ambrose Olaa est premier ministre de Ker Kwaro Acholi, une institution culturelle qui représente les Acholis de la région. Selon lui, la notion de « propriété » ne prend pas en compte la façon dont les terres coutumières sont détenues en fiducie pour les générations passées, présentes et futures.

Il explique : « Cela change la compréhension qu’on a de la terre, à savoir qu’elle renferme une valeur intrinsèque et qu’elle a plus qu’une valeur matérielle et commerciale. »

Plus des trois quarts des terres ougandaises sont détenus sous des régimes fonciers coutumiers.

Dennis Obbo est un porte-parole du ministère de l’Urbanisme. Il affirme que les titres doivent être abordables et faciles à obtenir. Plutôt que de réaliser un arpentage complet des terres, comme cela est exigé pour les titres de pleine propriété, les titres fonciers coutumiers nécessitent seulement un croquis cartographique de la terre, malgré l’utilisation croissante de la cartographie GPS, a-t-il souligné.

Monsieur Obbo déclare : « Cela n’exige de personne d’avoir un défenseur, un avocat, un juriste. Vous pouvez parler pour vous-même. »

Il souligne que les documents permettent de transformer la terre en bien commercialisable.

Il explique : « C’était l’une des meilleures façons de procéder si nous voulons [augmenter] la productivité et les investissements, et s’assurer également d’impliquer les gens de la localité, afin de [les associer] en tant que propriétaires fonciers. »

Il ajoute que les titres permettent aux gens d’utiliser leurs terres comme caution pour des prêts bancaires.

Jimmy Ochom est le coordonnateur des droits fonciers à Oxfam, en Ouganda. À ses dires, les titres pourraient permettre aux villageois(e)s d’être mieux indemnisés lorsque leurs terres sont récupérées pour des projets d’usines, d’agriculture commerciale et d’infrastructures.

Il déclare : « Si on délivre un titre pour la terre, la valeur associée à cette terre est supérieure à celle d’une terre n’ayant pas de titre. »

Les titres peuvent permettre aux femmes d’éviter que les terres dont elles ont hérité leur soient enlevées par des personnes étrangères à la communauté. Mais les titres offrent moins de protection contre les gens de l’intérieur, tels que la belle-famille qui tente de retirer les terres des veuves.

Toutefois, madame Otyeka, la responsable de la paroisse d’Owele, affirme que son titre lui a valu la reconnaissance de sa communauté.

Avant, dit-elle : « Ils auraient dit que les femmes n’avaient pas de droit. [Maintenant,] la terre de mes grands-parents a été entièrement mise en mon nom. »

Les expert(e)s fonciers soutiennent que l’adoption des titres fonciers coutumiers en Ouganda est lente, en partie à cause du fossé culturel entre le gouvernement et les populations rurales.

Judy Adoko est une militante des droits fonciers basée dans la sous-région de Lango, au nord de l’Ouganda. Elle déclare : « Le système public et le système coutumier sont très différents. C’est comme essayer de transformer une mangue en orange. »

Madame Adoko craint que les documents créent un système d’individualisation des terres coutumières qui pourraient être converties en propriété foncière libre et vendues à vil prix.

Monsieur Obbo, le porte-parole du ministère de l’Urbanisme, n’est pas du même avis, et affirme que personne n’est obligé de se procurer un titre de propriété foncière coutumière.

Père Joseph Okumu, un prêtre catholique, est également sceptique. Monsieur Okumu dirige un comité de gestion des questions foncières pour le Forum conjoint des autorités de la sous-région Acholi, un groupe de politiciens et de responsables de la société civile.

Il déclare : « Je pensais que mon arrière-grand-père aurait certifié que ‘c’est votre terre.’ Au lieu de cela, le gouvernement vient dire : ‘Je vous donne un titre.’ »

Monsieur Okumu démontre les valeurs de la terre en expliquant que les femmes Acholi enterrent traditionnellement le cordon ombilical de leurs enfants au centre de la propriété.

Monsieur Okumum déclare : « La terre est considérée comme une mère. Par conséquent, louer une terre pour avoir de l’argent, c’est comme vendre votre mère. »

Et pourtant, monsieur Okumu a déclaré que les traditionalistes comme lui mènent une bataille perdue contre les gens qui considèrent la terre comme un bien commercialisable. »

Il déclare : « La société change… et les gens d’ici ne sont pas du tout préparés. Mais, bien évidemment, l’économie mondiale n’attend pas. »La présente nouvelle est inspirée d’un article intitulé « Uganda drive to certify customary land runs into culture clash. » écrit par Liam Taylor et publié par la Fondation Thompson Reuters le 1er juin 2021. Pour lire l’intégralité de l’article, cliquez sur : https://news.trust.org/item/20210601112117-udjzv/

Photo : Une vache se tient dans un paysage pittoresque dans l’est de l’Ouganda, 2015.