Mali : Les traditions bloquent l’accès des femmes aux terres aménagées

| août 17, 2020

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Nouvelle en bref

Maman Traoré cultive dans un bas-fond non aménagé d’un hectare à Sikasso, au Mali. Elle produit surtout une variété d’oignon appelée chinois diaba (oignon chinois), et sa récolte est beaucoup moins importante que si elle cultivait sur une terre aménagée. Mais, le fait est qu’au Mali les femmes ont difficilement accès aux terres mises en valeur, et rendues fertiles par l’irrigation. Une fois que l’État met la terre en valeur, les démarches pour obtenir un titre foncier sont longues, et il est souvent difficile pour les femmes d’avoir du temps pour s’y investir. Les traditions également se dressent sur leur chemin. Pour plusieurs hommes, les femmes devraient se contenter de cultiver la terre de leur mari plutôt que la leur. Nana Koné est une agricultrice qui a la chance d’avoir accès à une terre mise en valeur. Son association paysanne loue une terre appartenant à un homme de leur village. Toutefois, elle explique : « louer une terre comporte toujours plus d’incertitudes que si celle-ci vous appartenait. »

Madame Traoré Maman est une agricultrice à Sikasso, une ville située à 375 kilomètres de Bamako, au Mali. Comme la majorité des femmes de Sikasso, elle ne dispose pas d’un bas-fond aménagé pour cultiver, car le processus d’obtention des droits fonciers est lent. Elle entretient un bas-fond non aménagé d’environ un hectare. Elle y cultive essentiellement une variété d’oignon appelée Chinois diaba.

Le rendement des bas-fonds non aménagés est faible, à peine deux tonnes l’hectare, soit la moitié du rendement des bas-fonds aménagés.

Elle subvient aux besoins de sa famille en grande partie grâce à l’agriculture. Mais l’accès à la terre est très difficile, et devenir propriétaire terrien est bien plus compliqué. Selon elle, le processus d’obtention des terres aménagées est trop long et demande beaucoup de vas et vient.

Après qu’une terre a été aménagée, à savoir rendue fertile par l’irrigation, une commission foncière est créée pour identifier les besoins et les critères d’attribution. Ensuite, la Direction des domaines s’occupe du titre foncier.Généralement, ce sont les hommes qui s’emparent de la plus grande part et c’est difficile pour les femmes d’en bénéficier.

Souvent, les femmes se découragent à la vue de la longueur du processus. Considérant leurs nombreuses préoccupations familiales, elles n’ont pas assez de temps pour s’impliquer totalement, ce qui leur laisse moins de chance d’obtenir des titres fonciers. Si d’autres trouvent le processus lent, beaucoup de femmes pensent qu’il privilégie les hommes à cause des traditions. Pour cela, les femmes de Sikasso occupent généralement les bas-fonds non aménagés pour cultiver le mil, l’oignon et l’aubergine.

L’agriculture aide les femmes à subvenir aux besoins de leurs familles. Les femmes aident souvent leur mari dans leur travail qui permet de nourrir la famille. Cependant, elles cultivent également dans les bas-fonds pour subvenir à d’autres besoins de leurs familles, tels que l’achat de vêtements, de chaussures, de médicaments et même le paiement des frais de scolarité.

Malgré la loi qui stipule que les femmes doivent avoir un accès équitable aux terres agricoles, les femmes rencontrent d’énormes défis en matière d’accès aux terres aménagées, y compris les barrières traditionnelles et coutumières.

Nana Koné est une agricultrice de 40 ans, et elle est la responsable de l’Association Benkan qui signifie « Pacte. » L’association se veut être un groupement où les femmes décident ensemble de ce qui est bien pour leur bien-être général. L’agriculture est leur principale activité. Comme madame Traoré, les autres femmes membres peinent également à accéder aux terres aménagées.

Madame Koné explique : « En réalité, nous n’avons pas accès comme on le souhaite à la terre. Les terres se font rares. Les deux hectares que nous, membres de l’Association Benkan exploitons sont en location et l’incertitude règne au quotidien. Il a fallu plusieurs démarches et protocoles pour obtenir ces deux hectares. »

Elle affirme que tous les 48 membres de l’association se réunissaient chaque fois chez un propriétaire terrien du village pour plaider en vue de l’obtention de la parcelle, et finalement il a accepté de leur prêter les deux hectares. Mais madame Koné soutient qu’il y a toujours de l’incertitude avec les champs loués. Elle ajoute : « Même les hommes louent parfois des champs et après trois ans d’exploitation, le propriétaire vient réclamer ses terres. »

Toutefois, à ses dires, avec la force d’un groupe, l’accès à la terre est encore plus facile.

Harouna Sangaré est le directeur régional de l’agriculture de Ségou, une région voisine de Sikasso. Il affirme qu’il existe des lois visant à faciliter l’accès des femmes aux terres aménagées. Il explique : « La loi d’orientation agricole permet un accès équitable aux ressources foncières agricoles et la possibilité de prendre des mesures discriminatoires positives pour les groupes vulnérables. C’est-à-dire s’il y a 100 hectares aménagés, au moins 10 % des hectares sont réservés aux femmes et aux personnes indigentes. »

Sidi Coulibaly travaille à la Chambre régionale d’agriculture de Sikasso. Selon lui, bien que les femmes aient droit a plus que 10 % des terres aménagées, la réalité est tout autre sur le terrain. Les valeurs traditionnelles et coutumières du Mali continuent d’entraver l’accès des femmes à la terre et les empêchent d’en être propriétaires.

Daouda Traoré est facilitateur d’un groupe d’écoute à Sikasso. Il explique ces traditions : « Chez nous, la femme est difficilement propriétaire des terres. Elle exploite plutôt une partie du champ de son mari. D’où l’incompréhension de beaucoup d’hommes que les femmes [peuvent] détenir des terres. Mais avec l’accompagnement des sensibilisations, les chefs coutumiers commencent à comprendre. »

Des organisations travaillent dur au Mali pour faciliter l’accès à la terre aux femmes, y compris la Fédération nationale des femmes rurales et le projet Nioro Gnini qui est principalement mis en œuvre à Sikasso. Mais il faut une grande implication de l’État pour accélérer le processus.

La présente nouvelle a été produite grâce au soutien financier du gouvernement du Canada par l’entremise d’Affaires mondiales Canada.