Kenya : Numéro vert, ‘les défenseurs de l’égalité de genre’ luttent contre la violence perpétrée contre les filles en milieu rural (Trust)

| mars 5, 2018

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Mariam Mohammed berce son bébé et dessine nerveusement dans le sable rouge avec une petite branche en évoquant ce qui lui était arrivé. Elle avait 15 ans quand son oncle l’a violée dans la case familiale, à Wajir, au nord-est du Kenya.

Elle déclare : « Il m’a dit de faire le lit, m’a serré la gorge de sorte que je ne pouvais plus crier, et puis il m’a fait mal. »

Sa mère, Fatouma Mohammed, découvrit le supplice de sa fille lorsqu’il devint difficile pour cette dernière de camoufler sa grossesse. Elle en informa immédiatement les anciens de leur village d’éleveurs.

Les yeux remplis de colère, Fatouma Mohammed évoque : « Ils n’ont rien fait, et ils ont suggéré simplement à Mariam de marier son oncle…. Par conséquent, j’ai décidé de partir et de ramener mes enfants chez ma mère. »

Des histoires comme celle de Mariam sont monnaie courante. Parfois, les filles des communautés d’éleveurs doivent s’occuper des animaux domestiques plutôt que d’aller à l’école. Elles doivent également parcourir de longues distances pour aller chercher de l’eau, ce qui fait d’elles des proies faciles pour les agresseurs potentiels.

Les agents de développement affirment que la longue sécheresse empire la situation dans cette région où habitent des familles d’ethnie somalie.

Suli Abdi Buhad est la responsable de l’équipe chargée du genre chez Mercy Corps, une agence d’aide humanitaire. Elle déclare : « Les éleveurs somaliens ont beaucoup de fierté. Lorsqu’ils perdent leurs bêtes, ils ne sont plus rien…. Ils se retrouvent désœuvrés, voire dépressifs, et plusieurs deviennent violents. »

Madame Abdi Buhad fait partie d’un groupe de femmes et d’hommes, parmi lesquels on retrouve des membres de la communauté, des agents de police, des journalistes, des agents de santé, des travailleurs d’ONG, etc., qui a mis en place l’an dernier un bureau de soutien en genre et un numéro vert à Wajir pour les victimes de violence.

Dès qu’une fille appelle au numéro vert, le groupe alerte un collègue ou un agent de police local pour enquêter et apporter un soutien moral et médical à la victime.

Si l’allégation semble fondée et que la victime est prête à faire avancer le dossier, le bureau du genre l’aide à entamer une procédure judiciaire.

Cette initiative fait partie du programme BRACED financé par le Royaume-Uni, et piloté par Mercy Corps.

Ubah Adan est la directrice du département genre et des services socioculturels du comté, et est membre de ce groupe. Elle explique que les cas de viols et d’agressions sexuels à Wajir sont souvent réglés par les chefs religieux conformément à une forme traditionnelle de la loi islamique appelée maslaha. En général, le règlement implique un dédommagement accordé à la famille de la victime.

Madame Adan explique : « Comme sanction, ils [les anciens] ordonneront au clan du fautif de donner à la famille de la victime 100 chameaux que la victime ne recevra jamais d’ailleurs. »
Elle ajoute que, sur les dossiers qui parviennent au tribunal, environ un dossier sur trois est classé sans suite en raison du manque de preuves ou du retrait de l’accusation par la victime.

Le cas de Mariam Mohammed est actuellement jugé devant un tribunal de Wajir, grâce au soutien du groupe chargé du genre. Mais sa mère, Fatouma Mohammed, affirme que la famille de son beau-frère les menace régulièrement.

Toutefois, elle déclare : « Nous ne cèderons pas. »

Les efforts du bureau du genre commencent à porter des fruits. Selon madame Adan, de juin 2016 à juin 2017, neuf cas de violence perpétrée contre des femmes et des filles sont passés en court. Ils ont tous abouti à des peines de prison. En 2015, déclare-t-elle, seuls deux cas avaient été sanctionnés par des peines de prison.

En plus de réclamer justice pour les victimes de violence, le bureau du genre travaille à changer les mentalités traditionnelles patriarcales envers les femmes et les filles.

Madame Abdi Buhad soutient que le groupe désigne des « défenseurs de l’égalité du genre » à qui il demande de dénoncer la violence à la radio locale, et de promouvoir l’égalité de genre.

Elle rit en ajoutant : « Nous voulons qu’ils disent aux autres hommes qu’il n’y a aucun mal à changer les couches de son bébé ou cuisiner pour sa femme. »

Elle aimerait que les hommes adoptent une mentalité différente, similaire à ce qu’elle appelle « esprit combatif » des femmes.

Elle explique : « Si un homme perd ses bêtes, son monde s’écroule…. Mais si la même chose arrive à une femme, elle préparera simplement du thé et des chapatis pour les vendre au marché, et ramener de l’argent. »

Diyad Hujale est coordonnateur de programme à Mercy Corps. À ses dires, la sécheresse persistante augmente les niveaux de violence déjà élevés envers les femmes et les filles. Il ajoute : « La sécheresse [récente] est particulièrement nuisible, car elle force les éleveurs de Wajir à se déplacer vers le nord du comté, où il pleut plus, et alimente les rivalités pour la terre et l’eau. »

Il ajoute que les filles et les femmes se retrouvent souvent prises au beau milieu de ces conflits.

Il déclare : « Certains éleveurs pensent que si on veut envoyer un message politique, menacer un autre clan, il faut violer une fille. » Dans certains cas, les filles sont tuées.

Il espère que le fait de porter des accusations criminelles contre une personne, plutôt que d’attribuer la responsabilité d’un acte de violence à tout un clan, réduira l’escalade de la violence au sein des groupes, et l’intimidation des victimes qui s’en suit souvent.

Madame Adan affirme que le manque d’argent est l’une des plus grandes difficultés du groupe. Celui-ci aimerait construire un centre d’accueil fort nécessaire pour les victimes de violences sexuelles, qui, selon elle, sont souvent rejetées par leurs propres familles.

Jusqu’à présent, plusieurs victimes attendent toujours que justice leur soit rendue. Le cas de Mariam est en cours, en attendant un test d’ADN qui prouverait que son oncle est le père de son bébé.

Le test coûte plus de 20 000 shillings kényans (environ 195 $ US) et doit être réalisé à Nairobi, la capitale, à plus de 600 kilomètres de Wajir.

Fatouma Mohammed serre la main de sa fille et déclare : « C’est trop cher, et trop loin. »

Mariam, qui refuse désormais de sortir de chez elle seule, déclare qu’elle « aimerait presqu’il [son oncle] soit innocenté, afin que nous puissions oublier tout ceci. »

Elle marque une pause, et ajoute : « Même si je sais que je n’oublierai jamais. »

La présente nouvelle est une adaptation d’un article intitulé : “Hotline, ‘gender champions’ tackle violence against girls in drought-hit Kenya” publié par la Thomson Reuters Foundation. Pour lire l’article original, cliquez sur : http://news.trust.org/item/20170621001240-eynkk/