Congo-Brazzaville : La forêt de Mayombe sous pression à cause de l’exploitation illégale du bois

| août 8, 2022

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Nouvelle en bref

Des oiseaux volent ici et là, sillonnant le ciel de Doumanga, un village du district Mvouti situé au cœur de la forêt montagneuse de Mayombe, en République du Congo. Tout à coup, le bruit d’activités de coupe de bois illégales perce le bourdonnement naturel de la forêt. Depuis l’ouverture de la route nationale no1 en 2011, ce bruit s’est généralisé. Les bûcherons disent n’avoir pas le choix, car les emplois sont devenus rares et qu’ils n’ont pas d’autres solutions. Cependant, il semble que même les parlementaires, les responsables d’entreprises et les hauts responsables des services de police possèdent des lopins de terre dans cette forêt. Ce type d’exploitation forestière est règlementée par le code forestier national selon lequel l’abattage d’arbres dans cette région nécessite un permis, sauf lorsqu’on coupe le bois pour l’usage domestique. Toutefois, les bûcherons ne respectent pas cette loi et soudoient des responsables des services locaux des Eaux et forêts pour poursuivre leurs activités. La forêt de Mayombe joue un rôle crucial dans le bassin du Congo, et elle se dégrade progressivement. Certains, y compris des agriculteurs et des agricultrices, ont trouvé des alternatives à l’exploitation forestière, telle que l’apiculture.

Des oiseaux volent ici et là, sillonnant le ciel de Doumanga, un village du district Mvouti situé au cœur de la forêt montagneuse de Mayombe, en République du Congo.

Les oiseaux se répondent dans la cime des arbres et des insectes se pavanent le long des branches et au-dessus des arbres. Tout cela se passe sous la canopée forestière très parfumée où des arbres géants conservent l’air humide.

Mais un autre bruit perce le bourdonnement naturel aujourd’hui. C’est le vrombissement d’une tronçonneuse, suivi du fracas d’arbres qui tombent les uns après les autres, craquant comme pour exprimer leur douleur.

C’est le bruit d’activités illégales d’abattage d’arbres. Depuis l’ouverture de la route nationale no1 en 2011, le bruit s’est généralisé dans la forêt de Mayombe. De Malele à Les Saras, en passant par Pilicondi, Doumanga et Kisila, l’exploitation forestière illégale bat son plein dans la majeure partie des villages longeant la route. Les personnes qui abattent les arbres disent n’avoir pas le choix.

Un homme de Doumanga qui souhaite garder l’anonymat déclare : « Je suis maçon. Les marchés se font de plus en plus rares en ville depuis le déclenchement de la crise économique dans notre pays. J’ai été obligé de venir m’installer ici. Je pouvais faire autre chose. Mais le sciage me procure de quoi manger. »

Un producteur de charbon de bois du village de Kisila, qui préfère garder l’anonymat, ajoute : « Il suffit d’avoir ta tronçonneuse. Tu achètes un hectare et tu te mets à abattre les arbres. Un arbre te procure du bois débité que tu vas vendre à prix d’or. Les souches et les branches, tu en fais du charbon de bois utilisé comme combustible dans les ménages. C’est dire que le sciage artisanal est une activité très juteuse. »

En fait, c’est une activité tellement lucrative qu’elle attire même les personnes qui sont censées gagner bien leur vie. Il semblerait que même des parlementaires, des chefs d’entreprises et des responsables des services de police possèdent des lopins de terre dans cette forêt.

Une femme qui a demandé à garder l’anonymat déclare : « Cette forêt que vous voyez, c’est 50 hectares. Elle appartient à un officier de l’armée. Il y pratique le sciage artisanal, fabrique du charbon et y pratique l’agriculture. »

Un proche collaborateur du chef du village déclare : « On ne vous a pas menti. Beaucoup de chefs ont des hectares ici. Leurs principales activités? Le sciage artisanal, l’agriculture et la fabrication de charbon de bois »

La crainte de représailles de la part de ces autorités est réelle pour ces villageois. Ils ont refusé d’être nommés dans cette nouvelle par peur des conséquences.

Et pourtant, ce type d’abattage est règlementé par le code forestier national qui stipule que pour couper des arbres ici, il faut un permis, sauf lorsque le bois est coupé pour la consommation domestique telle que la construction d’habitats ou la fabrication de cercueils.

Cependant, comme un habitant de Pilicondi explique, les bûcherons ne respectent pas cette loi et corrompent les responsables des eaux et forêts locaux, notamment les bûcherons qui travaillent pour les autorités.

Selon Fabrice Sévérin Kimpoutou, un assistant de recherche d’une organisation dénommée Rencontre pour la paix et les droits de l’homme, ce type de corruption est monnaie courante.

Monsieur Kimpoutou déclare : « Lors de nos échanges avec eux, les communautés locales font état de la corruption et du trafic d’influence. »

Dans le cadre d’un programme de sensibilisation des populations sur la nouvelle gouvernance forestière et foncière, l’organisation Rencontre pour la paix et les droits de l’homme mène des enquêtes dans la zone sur l’exploitation forestière illégale à Kouilou, le département dans lequel est située la forêt de Mayombe.

Les signalements d’abattages illégaux sont difficiles à vérifier et les autorités trouvent également qu’il est difficile d’intervenir.

Un agent des Eaux et forêts demande : « Comment voulez-vous qu’on arrête le convoi de planches sciées d’un colonel? Ce serait chercher des ennuis. » Lui aussi s’est exprimé sous couvert d’anonymat.

La forêt de Mayombe est une composante importante du bassin du Congo, un des principaux poumons écologiques du monde. Mais la forêt de Mayombe se dégrade progressivement. Certains périmètres ont en fait disparu et ont fait place à des zones de savanes créées par l’homme. C’est le cas dans le village de Ntoto Siala où une bananeraie s’étend à perte de vue.

Un danger dont les gens dans les villages sont eux-mêmes conscients. Jean Marie Mambou est un ancien chef du village de Doumanga. Il déclare : « Nos parents nous ont nourris et élevés grâce à cette forêt. Mais depuis qu’on a ouvert cette route, le sciage artisanal a augmenté. Et chaque jour on enregistre l’arrivée de nouveaux visages. À cette allure, il y a de quoi craindre pour notre avenir. »

Même inquiétude du côté des bûcherons eux-mêmes. Comme le déclare un bûcheron de Doumanga : « Je suis conscient qu’on ne verra plus [la forêt]. Elle est en train de disparaître. Mais nous n’avons pas le choix. Il faut vraiment des solutions rassurantes. »

D’autres, tels que les agriculteurs et les agricultrices du Mayombe ont déjà trouvé des alternatives. Jean Banzenza est un apiculteur qui réside non loin de Doumanga. Il déclare : « Je fais l’apiculture. Pour moi, c’est la meilleure manière de tirer profit du Mayombe sans le mettre en danger, » explique Jean Banzenza, apiculteur non loin de Doumanga.

Cet article été produit avec le soutien du Rainforest Journalism Fund en partenariat avec le Pulitzer Center. 

Photo : La forêt du Mayombe, 2014. Crédit : Jbdodane.