Tanzanie: Des agriculteurs vivent comme des réfugiés, suite à des développements miniers (IRIN)

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Mwajuma Hussein est une agricultrice de 75 ans issue du village de Mine Mpya, dans la circonscription de Mtakuja, une partie du District de Mwanza, dans la région du Lac Victoria. Elle dit: « J’ai été attaquée par des agents de police à 5 heures du matin. Ils ont arrêté trois personnes et les ont frappées, et ensuite ils nous ont jetés ici. » Mme Hussein est parmi un groupe d’environ 250 personnes qui ont été déplacées du village en 2007.

Depuis six ans, elle habite dans une communauté de tentes de fortune construites avec des bâches en plastique et des morceaux de bois et de métal, aux abord de la ville de Geita, dans le nord de la Tanzanie. Ce campement est connu sous le nom de Sophiatown, et ressemble à un camp de réfugiés. Ses résidents sont des familles d’agriculteurs déplacées en 2007 pour faire place à une des plus grosses mines d’or de la Tanzanie.

John Majebele est un homme âgé qui vit dans une petite tente avec sa femme. Il dit: « Regardez ma maison en papier. Quand il pleut, le toit coule, mais je n’ai pas d’argent pour le réparer. » M. Majebele était agriculteur et cultivait du maïs, des haricots, des bananes et d’autres plantes. Maintenant, il a des difficultés à trouver du travail comme employé de ferme occasionnel, pour pouvoir manger tous les jours.

Il se souvient: « J’avais deux acres d’une terre qui m’appartenais et je pouvais compter sur mes propres moyens. Quand j’avais besoin de bananes, je n’avais qu’à les couper, les faire cuire et les manger. Maintenant, je dois aller au marché et payer 1000 shillings [60 centimes US] pour cinq bananes. »

Les agriculteurs de Sophiatown ne représentent que quelques-unes des milliers de familles tanzaniennes qui ont été relocalisées de force suite aux activités minières, ces dernières années. Dans ce cas-ci, les agriculteurs ont été évincés de leur village par le gouvernement tanzanien pour laisser la place à la Geita Gold Mine. La mine est gérée par AngloGold Ashanti, une compagnie aurifère basée en Afrique du Sud, compagnie qui appartient à la multinationale Anglo American.

Selon les lois foncières de la Tanzanie, les communautés déplacées par l’État ont le droit de recevoir une compensation adéquate. Il peut s’agir d’argent comptant, de terres, ou de bâtiments de « qualité comparable ». La compensation peut inclure des plantes et des semences, et aussi un « approvisionnement régulier en grains et autres aliments de base ».

Mais en 2008, une mission d’enquête a montré que beaucoup de gens ne comprenaient pas à quel montant ou quel type de compensation ils devraient s’attendre. Dans un cas, un agriculteur n’a été payé que 400 000 shillings tanzaniens (239$ US) pour son petit lopin de terre, sa maison, ses bananiers et ses plants de manioc.

Les résidents de Sophiatown disent qu’ils n’ont reçu aucune compensation pour la perte de leurs fermes. La compagnie aurifère répond à cela que le gouvernement tanzanien est responsable de compenser et de réinstaller les agriculteurs. Les représentants de Geita Gold Mine disent qu’ils ont respecté les lois en vigueur, et qu’ils ont accepté de financer la construction de dix-huit maisons, pour des « raisons humanitaires ». Ils disent que cette décision n’a rien à voir avec le cas juridique présenté par les villageois contre la compagnie, cas qui est en attente d’être entendu devant la Cour d’Appel tanzanienne.

En 2011, le South African Institute of International Affairs (SAIIA) a enquêté sur les problématiques liées à l’utilisation de la terre et à la propriété foncière dans le secteur minier, en Tanzanie. Son rapport déclarait que « le sens d’appartenance à sa terre ancestrale et au cimetière de ses aïeux est un élément pour lequel on ne peut offrir aucune compensation. »

Alex Benkenstein, chercheur senior auprès de du SAIIA, note que la réinstallation des communautés déplacées est un sujet litigieux partout dans le monde. Une approche trop simple « mène inévitablement à des conflits ».

Il dit: « Les compagnies peuvent construire des maisons qui semblent être nettement supérieures aux structures traditionnelles, mais conviennent à des petites familles nucléaires plutôt qu’à des familles étendues vivant ensemble, ce qui est la tendance souvent observée en milieu rural. » Il ajoute: « Le plus important, c’est que le processus [de compensation] soit bâti autour des besoins et des priorités exprimés par les communautés elles-mêmes. »

Mais les résidents de Sophiatown perdent déjà espoir. John Majebele dit: « Le gouvernement nous a donné une lettre en juillet dernier pour dire qu’on allait nous construire des maisons. Nous avons attendu et attendu et maintenant nous sommes fatigués. Je me sens vraiment mal parce qu’après six ans, je souffre encore. »