Nelly Bassily | mai 2, 2011
Mamadou Habibou est éleveur. Il habite le village de Tessekeré, à environ 330 kilomètres au nord de Dakar, la capitale du Sénégal. Comme beaucoup d’éleveurs, il doit parcourir de longues distances et laisser sa famille plusieurs mois d’affilée. Il aimerait pouvoir paître son bétail près de chez lui. Et la Grande Muraille Verte pourrait l’aider à réaliser ce rêve.
Tessekeré est traversé par la Grande Muraille Verte. Là-bas, les paysans et les bergers se sont habitués aux allers et venues des étrangers qui plantent des arbustes destinés à renforcer la Grande Muraille Verte ou qui en supervisent la pousse.
Le projet Grande Muraille Verte consiste à dresser un alignement d’arbres près de 8000de long sur 15 kilomètres de large. La muraille traverserait 11 pays du Sahel depuis le Sénégal jusqu’à Djibouti. Cette initiative vise à stopper, voire à faire reculer le désert. M. Habibou et ses pairs vivant au village sont heureux de ce qui est en train de se réaliser. Du moins, c’est ce qu’ils disent en public.
Mais ce ne sont pas tous les agriculteurs qui font des éloges publiques de la Muraille Verte comme M. Habibou et ses compagnons. De peur de passer pour des personnes qui sont contre le développement du Sénégal, les villageois ne s’expriment jamais en public contre l’ouvrage. Pourtant, en privé, plusieurs avouent crûment qu’ils ne se sentent pas le devoir de préserver ces arbres.
Aliou Sow est un agriculteur au Sénégal . Il explique avec amertume que les autorités sont venues dans leur localité pour planter des arbres, sans les consulter. Le Service des eaux et forêts est juste passé leur dire qu’un projet de la plus haute importance allait avoir lieu dans leur zone. Et pendant que dans les localités de Tessekeré, Amaly et Widou les paysans sont obligés de parcourir des kilomètres à pied ou à dos d’âne pour aller chercher de l’eau, on creuse des puits pour arroser les pépinières pour la Grande Muraille Verte.
Au Sénégal, la Grande Muraille Verte est encore à l’état de chantiers. Même si l’État y met des moyens et mobilise de nombreux partenaires autour du projet, les arbres sont encore loin de former la barrière espérée.
Mais pour Matar Cissé, le directeur de l’Agence nationale gérant le projet Grande Muraille Verte, les populations ont beaucoup à gagner avec la muraille. Il déclare: « Nous avons choisi des espèces que les populations auraient tout intérêt à protéger, en ce sens qu’elles leur procureront des revenus réguliers ». Les plantes fourragères serviront à l’alimentation du cheptel en saison sèche.
Pour inciter les paysans et les bergers à s’impliquer personnellement dans le projet de muraille verte, les autorités mènent actuellement une campagne de communication. M. Cissé pense avoir convaincu les populations de se mobiliser pour la réussite du projet. Il est satisfait au point qu’il refuse d’admettre que certains ne soient pas emballés par le projet de muraille.
Aminata Siby, une ménagère vivant dans la zone de Widou, n’est pas si enthousiaste. Elle s’offusque en disant: « Ces arbres doivent être importants pour qu’on nous interdise à nous, les humains, de consommer l’eau des forages, pour la réserver uniquement à ces arbres ».
M. Cissé soutient que les sceptiques doivent être des personnes qui ne vivent pas dans les régions qui seront traversées par la muraille. Il affirme: « Ici, tous les villageois adhèrent sans restriction à la protection et la préservation de la Grande Muraille Verte».
Pour l’instant, la Grande Muraille Verte au Sénégal n’est qu’un ensemble d’arbustes de moins d’un mètre de haut qui s’étendent sur 15 kilomètres, sur de vastes périmètres délimités. Mais les promoteurs de la muraille espèrent constituer une barrière de 700 kilomètres qui traversera le Sénégal d’est en ouest d’ici trois ans.