Tanzanie : Des agriculteurs et des chercheurs se pressent de trouver des solutions contre la légionnaire d’automne avant le début de la saison du maïs

| décembre 18, 2017

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Après avoir passé 35 ans à cultiver, Joachim Joseph pensait savoir ce qui détruisait son maïs. Monsieur Joseph gère la Ferme Tumaini, une exploitation commerciale de 150 acres sur laquelle il cultive du maïs et des légumes, à Madira, tout juste à la sortie d’Arusha, au nord de la Tanzanie.

Pensant que c’était les foreurs du maïs qui causaient des ravages, il utilisait les pesticides habituels. Mais les chenilles ne mouraient pas. Il pleuvait, et les chenilles restaient en vie. Finalement, un agent agricole s’est rendu à la ferme et lui a dit qu’il ne s’agissait pas du foreur du maïs, mais plutôt de la légionnaire d’automne.

Monsieur Joseph déclare : « Ce ravageur ne rigole pas…. Quand il n’y a pas de maïs, il n’y a pas de nourriture, et il y aura donc aucun problème. »

La légionnaire d’automne se propage rapidement, et le maïs est sa nourriture préférée. Ce ravageur a anéanti les cultures de maïs et d’autres cultures dans au moins 26 pays africains au cours des deux dernières années. Actuellement, le ministère tanzanien de l’Agriculture se dépêche d’expliquer aux agriculteurs et aux agricultrices comment reconnaître et combattre ce nouveau ravageur, avant le début de la saison du maïs.

Une fois qu’il a su qu’il avait à faire à la légionnaire d’automne, monsieur Joseph pulvérisait ses champs deux fois, à une semaine d’intervalle, avec un pesticide appelé Karate. Il a attrapé le coupable à temps, et a obtenu une bonne récolte.

Quelques mois plus tard, il sema du maïs sur deux lopins de trois acres chacun pendant la saison morte, dans le cadre de son plan de rotation des cultures. Le maïs est en phase de maturation actuellement, et, alors qu’il marche entre les rangées pour examiner une feuille blanchie, les plants sont plus hauts que lui. Un des symptômes de la légionnaire d’automne est le « fenêtrage » que l’on observe lorsque certaines parties des feuilles prennent un aspect blanchâtre ou semi-transparent parce qu’elles ont été en grande partie rongées par des chenilles.

Le maïs est une culture vivrière en Tanzanie, où il sert à la préparation de mets prisés tels que l’ugali. Cependant, les spécialistes craignent qu’il n’y en ait pas suffisamment pour nourrir tout le monde si la légionnaire d’automne n’est pas maîtrisée.

Juma Mwinyimkuu est le coordonnateur de la zone Nord des services de la protection de végétaux, un département du ministère tanzanien de l’Agriculture. À ses dires, depuis que la présence de la légionnaire d’automne a été officiellement signalée en Tanzanie, en mars 2017, elle a envahi 16 des 30 régions du pays. Certains agriculteurs et agricultrices ont perdu plus de la moitié de leurs cultures.

Monsieur Mwinyimkuu explique : « La majeure partie de gens ne la connaît pas. Il ne s’agit pas seulement des agriculteurs, c’est le cas aussi pour les agents de vulgarisation agricole des districts. C’est un nouveau ravageur, par conséquent, la plupart ignorent toujours ce que c’est. »

Certains paysans et paysannes confondaient la légionnaire d’automne avec la légionnaire africaine ou la noctuelle de la tomate, ou à l’instar de monsieur Joseph, pensaient qu’il s’agissait du foreur de maïs.

Contrairement à ces autres ravageurs, la légionnaire d’automne a quatre taches noires régulièrement espacées qui forment un carré sur l’avant-dernier segment de son corps. Elle a également une marque en forme de « Y » inversé sur la tête.

Monsieur Mwinyimkuu affirme qu’il existe trois méthodes de lutte contre la légionnaire d’automne, dont les pratiques culturales ou manuelles telles que le ramassage et l’écrabouillage des vers et des œufs nichés souvent sur la face envers des feuilles de maïs; les méthodes biologiques telles que les pesticides à base de neem ou la pulvérisation d’un virus qui tue les chenilles; et les méthodes chimiques telles que les pesticides commerciaux. Il déclare : « Il faut utiliser toutes les méthodes. Tout ce qui fonctionne. »

Selon lui, la clé de la lutte contre la légionnaire d’automne consiste à inspecter régulièrement et intervenir tôt. Il explique : « Nous invitons les agriculteurs à faire ce que nous appelons ‘tournée de reconnaissance’ une semaine après la germination. Il s’agit en fait de se promener au hasard entre les rangées de plants pour trouver ces symptômes de dommages premièrement. »
Monsieur Mwinyimkuu conseille de semer tôt, de désherber souvent afin d’éliminer les plantes hôtes potentielles, et de respecter l’espacement et les engrais appropriés, car les plants sains sont moins susceptibles de succomber au ravageur que ceux qui sont plus affaiblis.

Si les chenilles sont petites et sont repérées sur les feuilles, et si les trous creusés dans les feuilles sont petits et de forme allongée, il est toujours possible de maîtriser le ravageur. Mais si les chenilles sont plus grandes, les trous plus gros, et s’il y a des excréments sur la plante, cela pouvait signifier que le ver avait pénétré dans la tige. À ce stade, il est très difficile de le tuer avec les pesticides.

Il est important de noter que la pulvérisation des champs comporte des dangers. Les pesticides peuvent tuer les ennemis naturels tels que les fourmis, les petites guêpes ou les bactéries qui pourraient être en train de lutter contre la légionnaire d’automne. De plus, certains pesticides sont toxiques pour l’être humain et contaminent l’environnement, y compris les cours d’eau.

Angela Gerald Mkindi est une étudiante en doctorat qui mène des recherches sur les pesticides à l’Institut africain des sciences et des technologies Nelson Mandela d’Arusha. Elle affirme que les risques sont nombreux pour les agriculteurs et les agricultrices qui utilisent des pesticides chimiques contre la légionnaire d’automne.

Elle explique : « Concernant la légionnaire d’automne, certaines expériences effectuées au Malawi indiquent que certains pesticides sont inefficaces…. En outre, les agriculteurs préfèrent mélanger différentes [sortes] de pesticides dans leur quête d’un mélange efficace. Toutes ces pratiques laissent de grandes quantités de résidus de pesticides dans le sol et tout l’écosystème, et un risque élevé pour l’agriculteur ou l’agricultrice en personne. »

Mme Mkindi ajoute que certains pesticides vendus sur le marché sont des produits contrefaits ou périmés qui augmentent le risque pour la santé humaine et l’environnement. La meilleure façon de maîtriser la légionnaire d’automne pourrait être de relâcher un autre insecte pour la détruire. Les scientifiques travaillent à développer des méthodes biologiques de lutte contre la légionnaire d’automne. Une de ces méthodes consiste à introduire des insectes parasitoïdes qui injectent leurs œufs dans la larve de la légionnaire d’automne. Lorsque les œufs se développent, ils tuent le ravageur.

Pendant que les scientifiques et les universitaires étudient ces possibilités, monsieur Mwinyimkuu affirme que plusieurs agriculteurs et agricultrices ne veulent pas attendre. Il déclare : « Le problème avec les méthodes biologiques c’est qu’elles sont un peu lentes. Par exemple : vous pouvez pulvériser le virus, mais cela peut prendre trois à quatre jours [pour que la légionnaire d’automne] en soit infestée et meure. La plupart des agriculteurs veulent des mesures de lutte aux résultats instantanés…. Ils veulent que si on pulvérise, on voie la chenille mourir au bout de 20 minutes. »

Monsieur Mwinyimkuu soutient que le ministère de l’Agriculture recommande de nombreux pesticides qui sont efficaces contre la légionnaire d’automne lorsqu’ils sont pulvérisés au bon moment.

Cependant, monsieur Mwinyimkuu avertit que dans certaines régions à l’extérieur de la Tanzanie, la légionnaire d’automne a développé une résistance à certains pesticides. Il conseille aux agriculteurs et aux agricultrices qui utilisent des pesticides de changer de produits souvent afin de réduire les risques que les vers développent une résistance.

Même si les plus grandes exploitations agricoles commerciales telles que la Ferme Tumaini peuvent faire le choix de pulvériser, certains paysans et paysannes n’ont pas les moyens d’acheter des pesticides chimiques ou de se protéger adéquatement lorsqu’ils pulvérisent ces derniers.

Les alternatives aux pesticides chimiques incluent l’utilisation du neem, de cendres et l’élimination physique et le broyage des chenilles.

Secilia Mrosso est agente locale au Tropical Pesticides Research Institute, à Arusha. De retour au bureau après une visite de terrain, elle parcourt son téléphone pour montrer photo après photo des plants de maïs endommagés recouverts d’excréments de légionnaire d’automne. Elle soutient que la clé pour maîtriser ce ravageur c’est de la capturer tôt.

Montrant une photo de plants endommagés, elle déclare : « À ce stade, l’agriculteur ne peut plus rien faire. Nous lui conseillons simplement de semer à nouveau…. Nous dépendons de l’agriculture pluviale, et lorsque vous découvrez un niveau d’infestation si élevé … au point qu’ils doivent déraciner tous leurs plants, alors vous pouvez penser … d’un point de vue social qu’il s’agit d’une très grande menace. »

Mme Mrosso ouvre en douceur un récipient en plastique contenant des morceaux d’herbes sèches et quelque chose qui ressemble à un saupoudrage de poivre noir. Elle fait des expériences avec ces minuscules parasitoïdes, en espérant qu’ils pourront servir à attaquer et tuer la légionnaire d’automne au stade larvaire.

Chaque fois qu’elle se déplace, elle dit aux agriculteurs et aux agricultrices de se tenir prêts pour le combat.

Mme Mrosso ajoute : « Nous pensons qu’au cours de la prochaine saison agricole, la [légionnaire d’automne] envahira tout le pays. Et si les agriculteurs sont incapables de la reconnaître et de la maîtriser tôt, alors ce sera le désordre total. »

Photo: Joachim Joseph dans son champs

Histoire ecrit par Joachim Laizer, Clara Moita et Jaime Little