République Démocratique du Congo: Quand les poissons valent plus cher que l’argent (Syfia Grands Lacs)

| octobre 31, 2011

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Il est six heures du matin quand les pirogues de pêche accostent sur la plage de Kavinvira, près de la ville d’Uvira, dans le Sud Kivu. Des vendeurs et des vendeuses se précipitent pour acheter du poisson frais. Ils vont le revendre au marché d’Uvira. Mais pour certains, cette opération a un coût caché. Une femme congolaise explique: « Avant que les pêcheurs n’acceptent de nous en vendre, il faut qu’on couche avec eux. »

Cela arrive sur d’autres plages aussi. Une femme fréquentant la plage de Kabimba dit: « Parfois, on se présente chez les pêcheurs avec de l’argent. Mais malgré cela, la plupart d’entre eux nous demandent d’avoir un rapport sexuel sans lequel nous ne pouvons pas avoir de marchandise. » Elle dit que certaines se soumettent, car elles sentent qu’elles n’ont pas d’autre choix. Cette pratique est appelée localement « jeton de présence ».

La plupart des femmes qui vendent du poisson au marché n’ont aucun autre moyen de gagner de l’argent. Leurs maris gagnent peu: en moyenne entre 20 000 et 35 000 francs congolais (entre 22 et 40 dollars américains). Nabintu vend du poisson au marché. Elle dit: « Ce métier … contribue à couvrir certaines charges de ménage: achat de livres et de vêtements, et paiement de frais scolaires pour les enfants. Alors, si j’abandonne, qui prendra soin de moi et de ma famille? »

D’autres vendeuses prennent des poissons à crédit et les payent suivant un échéancier convenu. Un pêcheur, qui préfère garder l’anonymat, commente: « C’est lorsqu’elles n’ont pas de quoi honorer leurs dettes que nous leur proposons l’activité sexuelle pour ne pas laisser la dette impayée. »

Les équipes de pêche sont peu nombreuses, contrairement aux vendeuses. Par conséquent, la demande en poissons est plus élevée que l’offre. Les pêcheurs peuvent choisir à qui ils veulent vendre. Un des pêcheurs ironise: « On ne vend qu’à celle qui a donné. » Il devient aussi difficile pour les vendeurs hommes d’acheter du poisson frais. Mangaiko est père de sept enfants. Il a été à la plage à quatre reprises sans pouvoir acheter le moindre poisson.

Peu de vendeuses de poissons refusent de s’abandonner à l’activité sexuelle demandée par le pêcheur. Cependant, certaines femmes refusent. Vicky, du village de Kasenga, a abandonné ce métier. Elle a trouvé déshonorant de devoir se prostituer pour avoir le droit d’acheter du poisson. Depuis lors, elle cultive la terre dans la plaine de la Ruzizi. Elle demande à ses amies de ne pas céder aux pêcheurs. Elle dit: « [Mes amies] doivent accepter l’idée d’abandonner le métier… car la vie ne se limite pas à vendre du poisson. »

Les revendications des pêcheurs ont des conséquences pour les femmes. En août, une femme du district de Songo est tombée enceinte, suite à des relations sexuelles avec un pêcheur. Son mari l’a quittée. Dans d’autres quartiers, tels que Kilibula et Kalundu, des couples se sont séparés.

Le Dr Claude travaille dans un hôpital local. Il avertit: « Les femmes et les hommes qui s’adonnent à [cette pratique] courent le risque d’attraper la pandémie du siècle». Il fait référence au VIH et au sida. Lorsqu’une vendeuse accepte, à la demande d’un pêcheur, d’avoir des rapports sexuels, les préservatifs sont rarement utilisés.

Pendant deux mois, les médias et d’autres organisations œuvrant à Uvira ont essayé de lutter contre cette pratique. Jean-Bosco Lubatu est un journaliste militant pour les droits humains. Il conseille aux femmes de recourir à d’autres moyens de gagner leur vie, comme la fabrication de savon, ou la boulangerie. Une ONG locale appelée CAADEC a tenté de sensibiliser des hommes et des femmes vendeurs de poisson, les pêcheurs et les responsables des équipes de pêche.

Certaines femmes promettent de ne plus satisfaire aux exigences des pêcheurs. Mais d’autres disent que si elles n’ont pas d’autre moyen de gagner de l’argent, elles ne peuvent pas refuser. Certaines familles sont financièrement dépendantes de la vente du poisson. Ainsi, les maris des vendeuses disent qu’ils se sentent impuissants.