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RDC : Pendant que le conflit pousse beaucoup d’agriculteurs à abandonner les champs, d’autres restent

Kavira Kakese marche lentement sur la piste caillouteuse qui mène à son champ situé à Mayangose, un village dans le parc national de Virunga, au nord-est de la République démocratique du Congo. Elle a le visage serré, elle promène instamment le regard autour d’elle pour s’assurer qu’il n’y a pas de danger.

Elle s’arrête pendant quelques secondes, puis chuchote: « Le risque de rencontrer les rebelles ici est très élevé. Mon mari a été décapité  à la machette par des rebelles dans notre champ à Mbau, tout près d’ici. »

Plusieurs petits groupes armés sont présents dans l’est de la République démocratique du Congo, y compris les Forces démocratiques de libération du Rwanda, un ancien groupe de rebelles rwandais, et les Forces démocratiques alliées de l’Ouganda. Le nombre de groupes rebelles a augmenté depuis 2013, lorsqu’une coalition des forces armées congolaises et des Nations Unies a défait le M23, le plus grand groupe armé de la région.

Après la mort de son mari, madame Kakese a décidé qu’elle ne pouvait plus se rendre dans son champ. Elle craignait pour sa vie, par conséquent, elle est restée à la maison. Cependant, malgré le risque, cette veuve et mère de six enfants fut obligée de changer d’avis.

Elle explique : « Au début, j’avais peur d’aller au champ. J’avais très peur, car le souvenir de cette barbarie perpétrée contre mon mari me revenait constamment dans la tête. Mais je n’ai pas eu d’autre choix que celui de revenir et cultiver pour nourrir et scolariser mes enfants. »

Madame Kakese a planté du cacao et du café sur un quart de son terrain de 200 mètres carrés. Avec des agriculteurs et des agricultrices de son voisinage, elle a élaboré un plan pour réduire le risque d’attaque par les groupes armés. Chaque vendredi, de 12 h à 13 h, ils vont au champ en groupe pour semer, sarcler ou récolter.

Elle raconte que les rebelles assistent à la prière le vendredi à cette heure-là.

Avant que la sécurité dans cette région devienne aussi précaire, madame Kakese cultivait du cacao et du café sur toute sa parcelle. Elle récoltait au moins six sacs de cacao et six sacs de café qui faisait au total 1 200 kilogrammes et gagnait environ 1 800 $ US par an.

Mais, maintenant, elle cultive du cacao juste sur 25 mètres carrés et du café sur un autre 25 mètres carrés. Elle regrette : « Je n’arrive même pas à récolter un demi-sac de cacao ou de café; au lieu de ça, j’obtiens un sac de 13 kilogrammes que je vends à 1,50 $ le kilogramme et je gagne [20 $ US]. J’ai peur d’aller plus en bas vers le fond de mon champ, car c’est là-bas que ces rebelles étaient sortis quand ils ont tué mon mari ».

Sa production représente seulement un dixième de celle des années précédentes, et ses revenus ne lui permettent plus de nourrir sa famille ni de payer la scolarité des enfants.

Des ONG locales comme la Coordination nationale de l’organisation de défense des droits de l’homme, ou CRDH, n’ont pas les moyens d’aider les populations. Elles appellent plutôt les autorités provinciales et nationales à trouver une solution au conflit.

Jean Paul Ngahangondi est le coordonnateur national de la CRDH. Selon lui, il y a beaucoup de villages qui sont pour la plupart abandonnés, et les gens qui s’y trouvent toujours ne sont plus capables d’aller dans leurs champs.

Monsieur Ngahangondi redoute également des risques de famine et d’enrôlements d’enfants. En effet, beaucoup de jeunes ont quitté les bancs en raison de la crise.

Le conflit nuit également à Kahindo Nzole, une mère de neuf enfants. À 45 ans, elle a abandonné son champ comme beaucoup d’autres dans une région où les populations vivent essentiellement d’agriculture.

Pendant plusieurs années, madame Nzole a cultivé le cacao et le café  à Mayangose. En 2013, soit trois ans après les premières attaques rebelles, elle a abandonné son champ à cause de la multiplication des viols, des enlèvements et des assassinats de femmes pendant qu’elles travaillaient au champ.

La voix tremblante et les yeux larmoyants, elle déclare : « Cela fait maintenant cinq ans que je n’ai pas mis les pieds dans mon champ. « C’est pourquoi ma famille et moi vivons dans la pauvreté. Mes enfants ne vont plus à l’école. Je rêve de les voir retourner à l’école, mais mes rêves s’écroulent petit à petit. C’est grâce à mon champ que j’avais des revenus. J’ai peur que cette situation ne finisse jamais. »

Madame Nzole cultive un peu de manioc et des légumes comme les amarantes et des tomates dans le petit jardin de cinq mètres carrés, derrière sa maison. De temps en temps, elle arrive à gagner 10 000 francs congolais (6,20 $ US), en vendant des feuilles de manioc au petit marché du village, mais son revenu n’est pas suffisant.

La présente nouvelle a été initialement publiée en août 2018.