Mozambique : Les fruiticultrices et fruiticulteurs ruraux évitent les exportatrices et les exportateurs et préfèrent ravitailler les brasseries clandestines

| juillet 27, 2015

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Andrea Machako sirote un cognac bas de gamme, mais fort, dénommé Tentaçao. Son nom est un terme portugais signifiant « tentation. »

M. Machako est un producteur ‘rebelle’. Il fait partie des fruiticultrices et fruiticulteurs ruraux mozambicains qui s’opposent aux initiatives gouvernementales visant à faciliter l’exportation de leurs fruits vers les marchés étrangers. Il préfère plutôt vendre sa récolte aux brasseuses et brasseurs locaux de Tentaçao.

En mai 2011, le Mozambique a obtenu une certification internationale pour ses ananas, permettant ainsi à ce fruit d’être exporté vers les pays de l’Union européenne. Toutefois, M. Machako ne s’est pas laissé impressionner par cela.

M. Machako cultive des mangues, des ananas et du manioc sur trois hectares de terres à l’extérieur d’Espungabera, dans un district éloigné, à la frontière avec le Zimbabwe, à plus de 700 kilomètres de la capitale mozambicaine, Maputo.

Il a le choix de vendre ses fruits, soit aux exportatrices et exportateurs, soit aux brasseries clandestines qui le paient en argent liquide, en dollars américains. M. Machako déclare : « Mes fruits s’en vont dans des brasseries. Qui peut m’en empêcher? »

Le tentaçao n’est qu’un des nombreux types d’alcool illicites. L’acide sulfurique, la vodka bon marché et les spiritueux sont systématiquement mélangés à du jus d’ananas ou de mangue pour en faire de l’alcool de contrebande. L’alcool local non réglementé est la cause d’importants problèmes de santé dont souffrent les Mozambicain(e)s. Leur consommation peut même entraîner la mort. Au début de l’année, 72 personnes sont mortes au Mozambique après avoir consommé de l’alcool contaminé. Selon les autorités sanitaires du district, il se pourrait que l’alcool ait été empoisonné avec de la bile de crocodile.

Le Rapport  Review Into Illicit Products de la Communauté de développement de l’Afrique Australe indique que 60 pour cent des boissons alcoolisées consommées au Mozambique sont de fabrication illégale. Il s’agit d’un des taux les plus élevés dans le monde. Le marché d’alcools illicites est vaste et lucratif. M. Machako peut gagner 900 $US avec un hectare d’ananas.

Machako estime qu’il n’a pas vraiment le choix. Ce pourrait être risqué pour lui de vendre ses mangues, ses bananes et ses ananas aux exportateurs. La qualité des fruits varie et ces revenus deviennent imprévisibles. M. Machako déclare : « Nos fruits [pourrissent] si nous ne les vendons pas directement aux [brasseuses et aux brasseurs]. »

Les routes de son village sont poussiéreuses et souvent impraticables. Les agricultrices et les agriculteurs n’ont accès ni à l’électricité et ni aux conteneurs frigorifiques. Selon l’ONG Feed The Future, les fruiticultrices et fruiticulteurs mozambicains perdent jusqu’à 45 pour cent de tous les fruits récoltés à cause des avaries survenant après les récoltes.

Les brasseries multinationales habilitées à la vente d’alcool essaient également de recruter les agricultrices et les agriculteurs pour les approvisionner en fruits. Après s’être rendu compte jusqu’à quel point les boissons alcoolisées illicites réduisaient ses ventes, la plus grande société de brasserie, SAB Miller, a entrepris de développer une boisson alcoolisée produite à base de manioc pour le Mozambique.

La Banque mondiale finance même les centres de formation pour les fruiticultrices et les fruiticulteurs. De plus, une société sud-africaine envisage de construire une usine de transformation au Mozambique pour produire du jus d’ananas destiné à être exporté en Allemagne.

Toutefois, les agricultrices et les agriculteurs préfèrent malgré tout ravitailler leurs brasseries locales. Hilda Sako cultive du manioc et des fruits. La veuve de 41 ans déclare : « Depuis 1975, ni aucune route ni aucun réseau électrique n’ont été aménagés ici. Comment pouvons-nous transporter nos fruits vers les contrées éloignées? Les brasseries [locales] nous donnent de la liquidité et ne nous posent aucun problème. »

Le gouvernement du Mozambique tente de convaincre les agricultrices et les agriculteurs comme M. Machako d’arrêter d’approvisionner les brasseuses et les brasseurs locaux et de commencer à exporter leurs fruits. Mais les districts où les fruits sont cultivés pour l’alcool sont éloignés, et n’ont pas de routes goudronnées, d’électricité ou de postes de police. Les autorités et les élus locaux acceptent que les agricultrices et les agriculteurs des agglomérations rurales les plus pauvres du Mozambique se fassent un revenu avec les activités de brassage illicites.

Comme le déclare M. Machako : « Les récoltes nous appartiennent. Nous ne voulons pas de complications. Nous méritons de gagner de l’argent rapidement. »