Mauritanie : Face à la sécheresse qui maintient les hommes sur la route, les femmes des communautés pastorales prennent les choses en main (Trust)

| avril 30, 2018

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Chaque fois que les éleveurs du village de Fatima Demba rentrent d’un voyage de plusieurs mois, après avoir été cherché du pâturage et de l’eau, les femmes organisent des célébrations délirantes.

Ajustant sa robe de couleur jaune et bleu vif, madame Demba déclare : « Nous nous faisons des tatouages avec du henné sur le corps, nous faisons des tresses et nous enfilons nos plus beaux vêtements. »

Même s’il lui tarde que son mari revienne à la maison, elle trouve un avantage à son absence : « Je m’occupe de tout … Notre argent, notre champ de millet, et même le puits de forage du village est sous ma responsabilité. »

Au sud de la Mauritanie, les longues périodes de sécheresse dégarnissent les pâturages, obligeant ainsi les bergers à parcourir de plus longues distances à la recherche de nourriture et d’eau pour leurs troupeaux.

Les experts affirment que cela donne aux femmes de ces sociétés patriarcales une nouvelle position de force pour gérer les récoltes, le reste des animaux de la famille et les finances du ménage.

En 2014, Aminetou Mint Maouloud a créé la première association des gardiennes de troupeau du pays. Elle déclare : « Dans les communautés pastorales, les femmes sont les premières à se lever le matin et les dernières à se coucher la nuit…. Que ce soit la fabrication du beurre avec du lait de vache, l’approvisionnement en bois ou les soins à apporter aux animaux malades, tout tourne autour des femmes. »

En Afrique de l’Ouest, l’élevage de bétail est un moyen classique de gagner sa vie au Sahel, une zone semi-aride au sud du Sahara, mais les bergers sont de plus en plus vulnérables à l’insécurité alimentaire à mesure que les changements climatiques perturbent la configuration des pluies dans la région.

Cela est surtout le cas en Mauritanie, un pays désertique. El Hacen Ould Taleb est le responsable du Groupement National des Associations Pastorales, une organisation caritative qui travaille avec les éleveurs.

Il explique : « La transhumance, c’est-à-dire la migration saisonnière des éleveurs et de leurs troupeaux vers des pays voisins comme le Sénégal ou le Mali, commence normalement en octobre, mais les pluies ont été si mauvaises l’an dernier que les gens ont commencé à partir en août. »

Son groupement aide les éleveurs à trouver des voies migratoires plus adaptées, par exemple avec des sources d’eau et des marchés tout le long. Ces activités s’inscrivent dans le cadre du programme financé par le gouvernement britannique « Renforcer la résilience et la capacité d’adaptation face aux conditions et aux catastrophes climatiques extrêmes. »

Cela fait sept mois que le mari de madame Demba est parti. Elle ignore quand il sera de retour.

S’arrêtant pour prendre une gorgée de thé à la menthe, elle déclare : « Il n’a aucun choix; il doit sauver nos bêtes. »

En attendant, ajoute-t-elle : « La famille dépend de moi. »

Madame Mint Maouloud raconte que, même si les femmes jouent un rôle crucial dans l’élevage, cela est rarement reconnu. Elle ajoute : « Un homme écoutera tout ce que sa femme lui chuchote au lit, mais le matin venu, elle ne recevra aucun mérite pour cela. »

Pour changer cette situation, son association a élu un conseil de huit femmes des villages de tout le pays. Ensemble, elles font pression sur le gouvernement par rapport aux problèmes concernant l’élevage.

Elle explique : « Nous leur disons où il pourrait être nécessaire de créer une clinique vétérinaire, ou quels marchés se prêtent mieux pour des espèces particulières d’animaux. »

Il se peut que leurs suggestions trouvent une oreille particulièrement attentive. Depuis la création du ministère de l’Élevage de la Mauritanie en 2014, les deux ministres ont été sont des femmes.

Vatma Vall Mint Soueina, l’actuelle ministre, affirme qu’elle voit les femmes acquérir un plus grand pouvoir économique.

Elle ajoute : « Nous voyons les femmes devenir plus autonomes, du simple fait qu’elles sont très actives sur le plan économique. »

À Hadad, un village situé au milieu d’étendues de sable et de terres parsemées d’arbres flétris, une douzaine de femmes sont rassemblées sous une grande tente bardée de tapis à rayures.

Mariem Mint Lessiyad, une petite femme aux yeux bruns, perçants, s’adresse énergiquement au groupe, interrompue seulement par un chevreau qui bêle.

Elle dirige une coopérative de 100 bergères originaires de villages voisins, et qui achètent des poules et des moutons pour les élever et les abattre, et vendre des portions à prix raisonnable aux familles locales.

Elle déclare : « Il n’y a pas beaucoup de viande dans les environs, par conséquent, nous devons être prudentes par rapport à notre consommation. »

Les femmes achètent un mouton à 12 000 d’ouguiyas anciens (34 $ US), et réalisent un bénéfice de 2 000 ouguiyas (6 $ US) environ par bête.

Les femmes comptent investir le bénéfice de la vente de moutons dans la création d’une entreprise d’articles en cuir.

Madame Mint Lessiyad déclare : « Nous ne pouvons pas nous fier à nos maris pour avoir un soutien financier. Ils sont trop pauvres, d’autant plus qu’ils doivent maintenant dépenser plus d’argent pour garder nos bêtes en bonne santé. »

Madame Mint Maouloud et son association tentent de convaincre les institutions financières de faciliter davantage l’accès au crédit aux femmes, afin que les groupements comme celui de madame Mint Lessiyad puissent aller de l’avant.

L’accès aux finances peut être problématique, dit-elle, avec certaines banques qui refusent catégoriquement de prêter de l’argent aux femmes.

Elle ajoute : « Il est important de rendre les bergères plus autonomes financièrement, afin qu’elles n’aient pas à dépendre de la générosité ou la compréhension de leurs maris. »

La présente nouvelle est une adaptation d’un article intitulé : « As drought keeps men on the road, Mauritania’s pastoralist women take charge » publié par la Thomson Reuters Foundation. Pour lire l’article original, cliquez sur : http://news.trust.org/item/20180417023016-hxfuk/

Photo: Une femme avec son âne à Hadad, région Gorgol, Mauritanie, March 30, 2018. Crédit: Thomson Reuters Foundation/Zoe Tabary