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Malawi: Les petits agriculteurs perdent leurs terres au profit d’une compagnie sucrière (IRIN)

Dorothy Dyton gagnait sa vie en cultivant un peu plus d’un hectare de terre, à proximité de la ville de Bangula, dans le district de Chikhwawa, dans le sud du Malawi. Mais en 2009, elle et 2000 petits exploitants agricoles ont été informés par leur chef local que leur terre avait été vendue et qu’ils ne pouvaient plus la cultiver. Comme la plupart des petits agriculteurs du Malawi, ils n’ont pas de titre de propriété foncière pour la terre sur laquelle ils sont nés.

Mme Dyton et ses voisins n’ont pas immédiatement accepté cet énorme changement. Ils ont continué à cultiver la terre, une saison de plus, avec la bénédiction du commissaire du district. Mais en 2010, alors qu’ils se préparaient à planter, ils ont été accueillis par une camionnette de police. Le chef de police leur a ordonné de ne pas revenir. Le lendemain, les agriculteurs sont retournés sur leurs champs, mais ils ont été accueillis par des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc. Cette nuit-là, six d’entre eux ont été arrêtés et accusés de violation de propriété.

Mme Dyton dit que, depuis cette époque, « La vie a été très dure pour nous ». Avec une réserve naturelle d’un côté de la communauté et la rivière Shire et la frontière du Mozambique de l’autre, il n’y a pas d’autres terres qu’ils pourraient cultiver. Maintenant, la famille gagne péniblement son pain en vendant du bois de chauffage ramassé dans la forêt voisine. Les trois enfants les plus âgés ont abandonné l’école pour aider leurs parents.

Isaac Falakeza est un autre membre de la communauté. Il dit : « Les gens n’ont pas assez à manger. Certains font de petits travaux dans les jardins des autres, d’autres font de l’élevage de nénuphars. Vous pouvez même voir des enfants souffrant de malnutrition. »

La communauté de Mme Dyton a déjà été contrainte de quitter cette terre. À l’époque de l’ancien président Hastings Banda, un des amis de ce dernier y avait établi une exploitation bovine. En 1994, l’exploitation a cessé de fonctionner et la communauté est revenue sur les lieux.

Au Malawi, plus de 60 pour cent des propriétés foncières sont attribuées selon un régime coutumier, ce qui signifie que la plupart des gens n’ont pas de titre foncier en bonne et due forme, et sont administrés par des chefs locaux, pour le compte du gouvernement. Ce sont les seules terres que les communautés locales ont le droit d’utiliser. Ce système a donné lieu à de nombreux abus, certains responsables et chefs gouvernementaux ayant vendu une bonne partie des terres coutumières.

Blessings Chinsinga est chargé de cours à l’Université du Chancellor College du Malawi. Il mène des recherches sur la réforme agraire dans le pays. Parlant des villageois, il dit : « Il n’y a rien qu'[ils] puissent faire parce qu’ils ne sont pas protégés par la loi. »

Après que Banda a quitté ses fonctions, le gouvernement a élaboré une nouvelle politique foncière. Cette politique permet aux agriculteurs d’enregistrer leurs terres coutumières en tant que propriété privée. Toutefois, les modifications législatives nécessaires pour mettre en œuvre cette politique n’ont pas été adoptées par le Parlement. Ainsi, le processus de réforme agraire est effectivement bloqué. Blessings Chinsinga explique : « Les politiciens possèdent de vastes étendues de terres, ils ont bénéficié de l’ancien système, ils sont donc réticents à adopter un nouveau cadre législatif. »

Les 2000 hectares de terres autrefois cultivées par Mme Dyton et ses voisins appartiennent maintenant à une compagnie appelée Agricane qui, à son tour, loue les terres à la compagnie sud-africaine Illovo Sugar. Bouke Bijl est le directeur d’Agricane. Il raconte que la compagnie a acheté le terrain à une banque qui l’avait acquis de l’ancien ami du président Banda, le propriétaire de l’exploitation bovine, après que celui-ci a omis de rembourser un prêt.

M. Bijl décrit Mme Dyton et d’autres agriculteurs comme étant des fauteurs de troubles qui n’ont pas de revendications ancestrales à la terre. Se référant à l’impasse entre les agriculteurs et la police, en 2010, il dit : « Il y avait une directive du commissaire de district selon laquelle ils ne devaient pas être là et devaient laisser place au développement, mais ils ont choisi de ne pas respecter cela. »

Ironie du sort, l’activité principale d’Agricane est d’apporter du soutien technique à des clients qui, pour la plupart, sont des bailleurs de fonds internationaux qui mettent en œuvre des projets de développement communautaires. M. Bijl a noté que le plus grand défi de l’entreprise dans la réalisation de ces projets était la question foncière. Il dit : « Nous voyons beaucoup de projets s’effondrer parce que les communautés ne sont pas suffisamment préparées pour les gérer. »

Les lois de réforme agraire ne sont qu’une première étape dans la lutte des petits exploitants agricoles pour une meilleure sécurité foncière. Face à de grandes entreprises internationales qui veulent des terres pour le développement, les agriculteurs auront besoin de ressources, de soutien, d’information et de publicité pour les aider à rester sur leurs terres.