En 44 ans de vie dans le village de Bukirimo, à l’ouest du Kenya, Naomi Rita Sitati a toujours connu qu’un seul système agricole, à savoir la monoculture des plantations de canne à sucre dont sa communauté a été dépendante pendant des générations. Récemment, cependant, elle a commencé à remettre en question ce système après avoir constaté ses effets destructeurs sur les sols et l’environnement. Maintenant, certaines communautés d’Afrique de l’Est travaillent avec des spécialistes culinaires et des défenseurs de l’environnement pour créer des initiatives agricoles intelligentes comme les forêts vivrières visant à restaurer la biodiversité du bassin du Nil.
La production de la canne à sucre sur de vastes superficies est une pratique courante à l’ouest du Kenya, et madame Sitati s’en contentait. En plus de fournir des emplois à des milliers de Kényans et de Kényanes à travers la chaîne de valeur agricole, il s’agit d’une source de devises pour le Kenya et un édulcorant très prisé à l’échelle nationale.
Cependant, elle a un impact important sur les réserves alimentaires et la biodiversité de la région, et, au fil des ans, madame Sitati a vu ce système accélérer la déforestation et la dépendance aux produits agrochimiques industriels pour l’augmentation de la production.
Elle déclare : « Nos sols sont morts. Lorsqu’on essaie de produire une culture vivrière dans un champ consacré auparavant à la canne à sucre, elle ne pousse pas. On n’y trouve même pas les choses comme les vers de terre et les fourmis. »
Emmanuel Atamba est le directeur général d’Agricultural Production Systems and Institutions Development, un cabinet de conseils agricoles basé à Nairobi. Selon lui, la canne à sucre est également dépendante de l’irrigation, et les agriculteurs et les agricultrices doivent également prélever de grandes quantités d’eau dans les rivières et d’autres étendues d’eau. Ce prélèvement effectué par les communautés en amont du bassin du Nil réduit le volume d’eau qui parvient dans les plaines, ce qui entraîne l’assèchement des zones humides, des sources d’eau de surface et des nappes phréatiques.
Au niveau de la biodiversité, ces pratiques agricoles menacent l’existence d’espèces fauniques déjà menacées comme le trionyx à clapets de Nubie (Cyclanorbis elegans). Cette tortue était autrefois présente de l’Afrique de l’Ouest à l’Afrique subsaharienne, et le long du bassin du Nil au Soudan. Cependant, elle a disparu d’une grande partie de ce rayon et figure aujourd’hui parmi les espèces les plus menacées.
Pour atténuer le revers de ces menaces tout en continuant de nourrir les populations, les communautés mettent en œuvre des initiatives agricoles intelligentes visant à restaurer la biodiversité du bassin du Nil.
Le village de madame Sitati au Kenya a récemment intégré les forêts vivrières. Les forêts vivrières, une forme de pratiques agroforestières, consistent à cultiver en association des cultures vivrières comme les céréales, les fruits, les légumes, les tubercules et les plantes médicinales parmi des espèces d’arbres ligneuses sur la même superficie.
Xavier Imondo, un enseignant, surveille la forêt vivrière communautaire du potager de 0,1 hectare à la St. Denis Libolina School. La forêt vivrière est constituée d’un mélange de cultures comme la banane, la patate douce, l’hibiscus, la papaye, l’avocat, le piment et plusieurs qui poussent entre des arbres comme la grévillée géante (Grevillea robusta). Cela donne au potage un aspect buissonnant qui attire des espèces fauniques comme les pigeons, les tisserins, les souimangas, les vers de terre, les fourmis blanches, les chenilles, les abeilles mellifères et les criquets.
Monsieur Imondo déclare : « Les forêts vivrières changent la donne pour nos agriculteurs. En plus de fournir aux familles une variété d’aliments, les rivières et les zones humides se rechargent en eau. L’eau est également bonne, car nous n’utilisons pas de produits agrochimiques. »
Karen Nekesa est la coordonnatrice régionale du plaidoyer et des communications au Regional Schools and Colleges Permaculture Programme. Elle affirme que les pratiques agricoles destructives menacent la biodiversité dans l’ensemble de l’Afrique de l’Est. Pour aider la région à se remettre des effets de l’insécurité alimentaire et de la dégradation de l’environnement, l’organisation travaille avec des agriculteurs et des agricultrices du Kenya, de l’Ouganda, la Zambie, du Malawi et du Zimbabwe pour instaurer l’agriculture agroécologique.
En collaboration avec la Turtle Survival Alliance, l’U.S. Fish and Wildlife Service, le Turtle Surveillance et la Rainforest Trust, l’herpétologiste Mathias Behangana soutient que l’aménagement d’aires protégées communautaires est l’initiative la plus prometteuse visant à protéger le trionyx à clapets de Nubie. Mais il s’agit d’un projet à long terme qui nécessite un financement dont ils ne disposent pas pour l’instant.
La réalimentation des zones humides par l’adoption de techniques agricoles comme l’agroforesterie constitue l’une des choses les plus simples que les communautés du bassin du Nil font pour permettre à cette espèce qui habitent les eaux boueuses et les parcelles de papyrus, même si l’amélioration ne se produit pas aussi rapidement comme l’auraient voulu les défenseurs de l’environnement.
Lors de la sixième session de l’Assemblée des Nations Unies pour l’environnement qui s’est tenue en février 2024, à Nairobi, le cadre mondial de la biodiversité et l’utilisation excessive des engrais ont fait l’objet des discussions.
Cela est bonne nouvelle pour madame Sitati, la cultivatrice de canne à sucre de l’ouest du Kenya. Cela lui permet de savoir qu’elle n’est pas seule et que la communauté internationale combat contre la perte de la biodiversité aux côtés d’agriculteurs et d’agricultrices d’exploitations familiales comme elle, même dans une petite région de la planète comme le bassin du Nil.
Elle déclare : « Nous faisons le maximum pour restaurer l’environnement et sauver les espèces fauniques en voie de disparition, mais nous ne pouvons pas remporter cette bataille sans le soutien des gouvernements et des dirigeants du monde. »
La présente nouvelle est inspirée d’un article publié par Mongabay sous le titre : « Nile Basin farmers grow food forests to restore wetlands and bring back a turtle. » Pour lire l’intégralité de l’article, cliquez sur : https://news.mongabay.com/2024/02/nile-basin-farmers-grow-food-forests-to-restore-wetlands-and-bring-back-a-turtle/ [1]
Photo : La forêt alimentaire de la maison de Naomi Rita Sitati, dans l’ouest du Kenya. Image de David Njagi pour Mongabay