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Côte d’Ivoire : Des productrices de cacao se battent pour l’accès à la terre

Le soleil s’est levé, mais le temps est frais et poussiéreux. Victorine Kouaglou, 58 ans, a six petits-enfants. Elle regarde ses fèves de cacao qui sèchent sur un grand sac en plastique noir. Madame Kouaglou vit à Duékoué, à 500 kilomètres à l’ouest de la capitale Abidjan, où elle préside une coopérative de productrices de cacao dénommé « Koado-Dué » qui signifie « On est uni » en langue locale wè.

Madame Kouaglou possède 63 hectares de cacaoyers, dont 53 portant des plants qui produisent et 10 hectares constitués de nouveaux plants. En 2020, elle a produit 15 tonnes de cacao.

Elle est chanceuse. En effet, la majorité des autres femmes n’ont pas accès comme elle à la terre pour cultiver.  

Madame Kouaglou explique : « Personnellement, je n’ai pas eu de difficulté particulière à avoir une terre pour ma production de cacao, car j’ai acheté la terre pour ce but et j’ai les documents administratifs nécessaires que m’a délivrés l’Administration rurale de l’agriculture et du développement, y compris les titres d’acquisition et de propriété. Certaines femmes de ma coopérative se sont vues refuser l’accès à la terre pour la culture du cacao par leur mari ou d’autres propriétaires terriens sous prétexte que le travail difficile qu’implique la production du cacao n’est pas pour les femmes. L’accès à la terre a été refusé à d’autres pour éviter que les femmes réclament leurs parts de terres familiales. »

Pour aider les femmes à avoir des terres pour cultiver le cacao, la coopérative de madame Kouaglou va désormais à la rencontre des hommes qui refusent de donner des terres aux femmes.

Madame Kouaglou explique : « Nous rencontrons les hommes, les propriétaires terriens, et les parents pour leur expliquer que quand la femme a l’argent, c’est pour la famille, elle aide à la scolarisation des enfants, ainsi qu’à la prise en charge de certaines dépenses de la famille. »

Depuis sa création en décembre 2001, la coopérative réunit 561 membres, dont 312 femmes. Durant la saison 2020-2021, les membres de la coopérative Koado-Dué ont produit 400 tonnes de cacao. Elles se réunissent chaque semaine pour discuter de l’accès des membres à la terre et choisir les communautés où elles se rendront pour plaider leur cause auprès des hommes.

Dominique Kouman est membre d’une autre coopérative à Yakassé-Adzopé, au sud de la Côte d’Ivoire, à 80 kilomètres d’Abidjan. Parmi les 3300 membres, seuls 300 sont des femmes. Monsieur Kouman affirme que les hommes de la coopérative encouragent les femmes à cultiver le cacao, bien que le travail soit difficile.

Il explique : « Grâce à nos plantations de cacao, nos épouses bénéficient de notre soutien financier pour leurs activités, nous avons eu l’adhésion d’autres femmes. Elles sont compétentes dans le travail. »

Marie Thérèse Dele est la présidente d’une union de coopératives. Son groupement compte 800 membres, et c’est une union interrégionale de productrices de café, de cacao, de caoutchouc, d’huile de palme et de denrées vivrières. À l’instar de la coopérative Koado-Dué, l’union sensibilise les chefs de village concernant les avantages de la cession des terres aux femmes pour la culture du cacao.

Elle explique : « J’ai dit aux chefs de village que je suis rentrée d’Abidjan pour cultiver la terre. Les chefs disaient que les femmes n’ont pas droit à la terre. Je leur ai expliqué que leurs filles autant que leurs fils n’ont pas choisi leurs sexes et ont donc les mêmes droits. Et une fille qui produit du cacao gagne plus que le montant de la dot de son mariage. »

Madame Dele soutient que les chefs ont été réceptifs au message et qu’ils accordent maintenant à leurs filles et à d’autres femmes du village des terres pour la culture du cacao.

Elle ajoute qu’il a fallu même convaincre certaines femmes de se lancer dans la production du cacao.

« Beaucoup étaient réticentes. Elles écoutaient plus les hommes. Mais, des chefs de famille ont compris notre message, grâce aux médias, ils voient ce qui se passe dans le monde pour les femmes, l’autonomisation de la femme est en marche. »

Maria Ouattara est une experte en genre au ministère ivoirien de la Femme, de la Famille et de l’Enfant. Elle relève que la majeure partie des plantations de cacao en Côte d’Ivoire appartiennent à des hommes. Elle raconte que les femmes, en particulier celles qui ne savent pas lire, sont exploitées par les acheteurs de sexe masculin, qui leur proposent des prix inférieurs à ceux du marché. Comme elles n’ont pas d’autres solutions ni des renseignements sur le prix du cacao, les femmes sont souvent obligées de vendre leurs produits en deçà de leur valeur réelle.

Le gouvernement ivoirien a reconnu madame Kouaglou comme la meilleure productrice de cacao en Côte d’Ivoire, en 2018. Déjà, lors de cette saison, sa coopérative Koado-Dué a récolté 384 tonnes et espère atteindre 1000 tonnes d’ici septembre. Au-delà de la simple production de cacao, madame Kouaglou rêve d’apporter une valeur ajoutée au cacao.

Elle déclare : « Mon plus grand rêve est que notre coopérative tisse un partenariat technique, créé une usine de transformation locale et que nous produisions notre propre chocolat. »

Cette Nouvelle a été produite grâce à une subvention de la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit GmbH (GIZ) qui met en œuvre le programme des Centres d’innovations vertes.

Photo : Des membres de la coopérative féminine de cacao COPAZ, basée à Kperedi, en Côte d’Ivoire, cueillent des plants de cacao à plus haut rendement, le 13 novembre 2013. Crédit : Nestlé.

Cette Nouvelle a été publiée à l’origine en février 2022.