Bénin : Les petits exploitants agricoles dénoncent l’accaparement des terres (par Mikaïla Issa, pour Agro Radio Hebdo au Bénin)

| juin 4, 2012

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Aballon Ake est un jeune paysan du village de Tchaourou, situé à 56 kilomètres de Parakou, dans le nord du Bénin. Comme plusieurs autres agriculteurs, M. Ake a récemment été privé de ses moyens de subsistance à cause d’un achat massif de terres. Il raconte : « J’ai perdu tout mon champ d’ignames et je n’ai rien reçu en retour, aucun dédommagement. Aujourd’hui, je suis sans mon seul capital, la terre… et ma houe est au repos… »

C’est Séfou Fagbohoun, un député béninois, qui s’est accaparé de la terre d’Ake. Il est allégué que cet homme politique avait l’intention d’aider une coopérative d’exploitants agricoles dont M. Ake faisait partie, mais au lieu de cela, il s’est emparé sur leurs terres. Les membres de la coopérative ont protesté en vain.

Le Bénin compte plus de 8 millions d’hectares de terres agricoles cultivables dont moins du quart sont aujourd’hui exploitées. Cette grande superficie de terres encore cultivables fait du pays une cible parfaite pour les investisseurs.

Des groupes de financiers béninois et d’investisseurs étrangers monopolisent des milliers d’hectares de terres au détriment des familles d’agriculteurs. Les communautés rurales souffrent lorsque les agriculteurs se retrouvent sans terre. Le phénomène de l’accaparement des terres agricoles conduit à l’exode rural, à l’augmentation de l’insécurité alimentaire des plus démunis et à la destruction de l’environnement.

Comme M. Ake, beaucoup de petits agriculteurs sont laissés pour compte. Certains essaient de négocier avec leurs voisins pour cultiver une partie de leur terre. D’autres ont le regard tourné vers les grandes villes, à la recherche d’emploi.

Il est allégué que de hauts fonctionnaires béninois se prévalent de leur titre pour s’octroyer des milliers d’hectares de terres. Nestor Mahinou est le Secrétaire exécutif de Synergie Paysanne, une organisation paysanne à vocation syndicale. Il confirme : « Avec l’influence de l’autorité et le pouvoir de l’argent, certains hommes politiques parviennent à acquérir des exploitations s’étendant jusqu’à 900 hectares ».

Le phénomène des accaparements de terre constitue un grand danger pour la sécurité alimentaire car la plupart des acquéreurs immobilisent leurs terres pour plusieurs années. Souvent, sur les terres les plus fertiles, on retrouve de grandes exploitations – essentiellement de jatropha, la matière première des biocarburants. « On ne sait pas vraiment ce que les nouveaux propriétaires font de leurs nouvelles terres. Ils promettent d’installer des industries de transformations agro-alimentaires et de construire des infrastructures socio-communautaires. Mais jusqu’ici, rien de concret », se révolte un chef coutumier.

Quand les petits producteurs demandent la permission d’accéder à ces terres pour les mettre en valeur, les propriétaires s’y opposent. Ainsi, des conflits peuvent éclater entre propriétaires et populations locales. Dame Azia Hawé est la porte-parole des femmes du quartier Alpha-quarra de Djougou, une ville située à 150 km de Parakou. Comme en témoigne cette productrice agricole: « À Djougou, une dame a été poursuivie par un propriétaire terrien blanc car elle était allée chercher du bois de chauffage sur sa terre. Elle a aujourd’hui les deux jambes brisées après qu’elle a été renversée par la voiture du propriétaire. » La police a été interpellée mais sans suite.

Le syndicat national des paysans du Bénin et plusieurs organisations de la société civile sont préoccupés par le phénomène. Simon Bodéa, le secrétaire général de Synergie paysanne explique : « En 2008, on a constaté que des hommes d’affaires, des cadres béninois, des députés, et même des ministres conseillaient des États étrangers comme la Chine, l’Arabie-Saoudite, la Malaisie… sur les procédures d’acquisition de terres couvrant des superficies de 10 000 à 25 000 hectares».

Alors que les paysans dénoncent de telles actions comme relevant d’accaparement de terres, l’Article 390 du nouveau projet de code foncier en fait la promotion. Il stipule que « tout individu peut acheter jusqu’à 1000 hectares ». Moussa Saley est le père d’une famille d’agriculteurs issue de la commune de Tchaourou. Le vieux paysan s’inquiète : « Si aucune décision n’est prise afin de réguler la situation, le Bénin ne disposera bientôt plus de réserves de terres agricoles.»

Depuis qu’Aballon Ake n’a plus de terre, il a décidé de travailler sur la terre de ses voisins. Mais il compte quitter son village pour aller dans une grande ville, à la recherche désespérée d’une meilleure vie.