Burkina Faso : Régénérer les terres dégradées grâce au « zaï et aux demi-lunes »

| septembre 4, 2017

Téléchargez cette nouvelle

Ce matin, Saïdou Ouédraogo joue le rôle de guide pour des paysans et des paysannes à qui il fait visiter son champ de trois hectares. Mais ces derniers sont là pour apprendre et non pour faire du tourisme. Cette parcelle d’un vert luxuriant est devenue un exemple de bonnes pratiques de régénération des sols. À l’extérieur de la clôture de monsieur Ouédraogo, le sol est infertile.

L’agriculteur de 60 ans vit dans le petit village de Komnongo, au centre du Burkina Faso, à une cinquantaine de kilomètres de Ouagadougou, la capitale. Monsieur Ouédraogo et ses douze frères ont hérité plusieurs hectares de terres de leurs parents, mais une bonne partie de celles-ci était incultivable. Il réussissait à récolter entre 600 et 800 kilogrammes de maïs et de mil par an, mais cela ne suffisait pas à nourrir sa famille.

Monsieur Ouédraogo se rappelle : « J’étais un vrai affamé. Je n’arrivais pas à me nourrir avec ma production agricole. »

Dans ce village, le sol est sec et épuisé. Certaines espèces d’herbes et d’arbustes disparaissent de la région, car elles ne peuvent plus pousser sur un sol si pauvre. Cela constitue une perte de biodiversité. Selon le ministère de l’Environnement du Burkina Faso, un tiers des terres du pays ne convient plus à l’agriculture.

Plusieurs agriculteurs et agricultrices de la région ont délaissé leurs champs au profit d’autres activités, mais monsieur Ouédraogo a décidé de rester et de se battre pour régénérer sa terre, en espérant pouvoir nourrir sa nombreuse famille.

half-moon ditches or demi-lune

Demi-lunes. Credit: Harouna Sana

En 2009, il a décidé d’expérimenter deux techniques appelées « zaï » et « demi-lunes » afin d’améliorer la qualité du sol. Ces méthodes consistent à creuser des trous, qui sont, soit des trous ronds, soit des fossés plus larges en forme de croissant de lune, qui permettent de contrôler les eaux de pluie et les diriger vers les cultures.

Les zaï et les demi-lunes peuvent favoriser une augmentation des récoltes même dès la première année. L’agriculteur ou l’agricultrice n’a pas besoin d’attendre que le sol soit complètement régénéré pour commencer à semer.

Le sol est nu entre les zaï, mais à l’intérieur du trou, la terre est humide et fertile. La fosse recueille et retient l’eau et empêche que la terre arable et les semences soient emportées par la pluie.

Monsieur Ouédraogo a planté des arbres qu’il arrosait régulièrement. Par la suite, il a creusé des zaï et des demi-lunes entre les arbres pour y planter des herbes fourragères. Les herbes croissaient en même temps que le sol commençait à se reconstituer.

Monsieur Ouédraogo a érigé une clôture grillagée autour de son champ grâce à une subvention de l’Association Tee Palga, qui signifie « nouvel arbre » en langue mooré. La clôture bloque l’accès de sa parcelle aux animaux affamés et aux personnes qui voudraient venir couper le bois de feu.

Monsieur Ouédraogo a réussi à régénérer son sol. Il a également semé du maïs et d’autres céréales. Sa production a augmenté de 80 %, ce qui lui a permis de nourrir sa famille et de couvrir ses dépenses. Il a même vendu une partie de sa récolte. Durant le premier semestre de 2017, la vente du fourrage et du bois lui a rapporté environ 250 000 francs CFA (455 $US). Il a vendu aussi quelques roches déblayées de ses champs.

Monsieur Ouédraogo a offert un peu de fourrage à des collègues agriculteurs et agricultrices, et en a échangé contre de l’engrais biologique. Les villageois(e)s viennent dans sa ferme pour ramasser des écorces et des racines d’arbres qui servent de médicaments, car il est difficile de trouver ces ingrédients dans le village.

Ousmane Compaoré est un agriculteur dans la cinquantaine, qui cultive un champ de trois hectares et demi dans un village voisin. Il a visité le champ de monsieur Ouédraogo pour apprendre ses méthodes. Mais cela n’a pas été facile pour lui de connaître le même succès que son collègue.

Monsieur Compaoré déclare : « J’ai été séduit par cette réalisation. Il y a des espèces d’arbres et d’herbes [fourragères] qui ont disparu de la région et que l’on retrouve ici. Je voulais tester cette technique sur mon champ. Seulement, je n’ai pas les moyens d’ériger une clôture. »

Les paysans et les paysannes de cette région se battent pour protéger les parcelles nouvellement reboisées contre les animaux et d’autres intrus. Cependant, plusieurs agriculteurs et agricultrices d’exploitations familiales n’ont pas les moyens de se procurer une clôture métallique. Pour une exploitation agricole de trois hectares, il faudrait dépenser plus d’un million de francs CFA (environ 1 820 $US) pour une telle clôture.

Monsieur Ouédraogo a trouvé une solution pour faire face à ces menaces. Il a creusé une tranchée de 60 centimètres de large et 40 centimètres de profondeur autour de son périmètre, sur lequel il a planté des acacias épineux pour former une barrière durable et efficace. À mesure que la clôture grillagée se détériorera, cette haie vive la remplacera. Cette espèce d’acacia produit de la gomme arabique, qui constituera une autre source de revenus dans quelques années.

Ouérmi Elie et un expert agricole qui travaille avec les agriculteurs et les agricultrices de Komnongo. Il affirme que l’exploitation de monsieur Ouédraogo sert de modèle pour la réhabilitation des sols. Il reconnaît que, s’il n’avait pas obtenu une subvention pour construire sa clôture, monsieur Ouédraogo aurait probablement eu plus de mal à conserver et protéger ses arbres. Mais, il ajoute : « Je dois admettre que lui-même s’est beaucoup investi. Certains agriculteurs ont des grillages, mais n’ont pas réussi à régénérer les terres arides parce qu’ils ne se sont pas investis comme monsieur Ouédraogo. »

Le gouvernement burkinabé espère voir d’autres agriculteurs et agricultrices se joindre à monsieur Ouédraogo pour se battre pour la préservation des terres et la conservation de la biodiversité. Elisé Yaro est responsable du volet « protection environnementale et sociale » du Programme national de gestion des terroirs mis en place par l’État burkinabé. Il déclare : « Si 20 paysans font comme lui sur trois hectares, on aura dans ce village 60 hectares de forêt protégée permettant une production intégrée agrosylvopastorale, et permettant également aux producteurs de s’épanouir avec les retombées de cette activité. »

Monsieur Ouédraogo soutient qu’il continuera de se battre. Il compte employer les mêmes techniques sur dix autres hectares de terres arides afin d’y planter des arbres et cultiver des céréales et du fourrage.